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  • N°4 - Sans foie ni estomac

    Par Jules-Marie de Saint-Hippolyte

      Une remarque blessante, et l'on vous provoquait à l'épée ou au pistolet. La civilisation a décliné : de nos jours on vous convoque aux tribunaux. C'est pourquoi la critique juste est un bien rare : elle ne fait que passer en coup de vent. Qui rechigne, se tait. Haedens est mort, qui nous reste-t'il ? Murray, Angelo Rinaldi, Meyer, et aussi un universitaire capable de citer Blanchot et Gotlib dans une même phrase un peu plus adroitement que les autres, du nom de Pierre Jourde.

    Après Julien Gracq

    Les réflexions de Pierre Jourde s'inspirent d'un court essai de 1950, La littérature a l'estomac dans lequel Gracq déplorait la disparition de lecteurs curieux et sans complexe, au profit de nouveaux Bourgeois Gentilshommes attentifs à ce qui "se porte". Le dix-neuvième a suffisamment ignoré ses génies : il fallut dès lors honorer l'Écrivain et la culture en général, bruyamment, pour ne surtout pas « manquer le Messie » encore une fois. D'où une crise du jugement : le goût s'effaça devant l'opinion. Le Grand Écrivain naquit non plus d'une découverte, mais d'un appel d'air, d'un besoin de vedettes ; l'obscurité de sa pensée fut garante de qualité. Bref : plus le temps de digérer quoi que ce soit : l'on se référa aux spécialistes pour apprécier l'œuvre. Beauvoir et « son école sexuelle du soir » suscita comme le dit Maulnier à propos des surréalistes, soit une aversion gendarmée, soit le négatif de l'incompréhension. Il suffit de se rappeler l' "affaire Catherine M." pour encore mesurer l'importance de la polémique au détriment de la lecture impartiale (autre « éléctoralisation de la littérature », rayon Enfer des bibliothèques). Que s'est-il passé depuis un demi-siècle ? "

    On ne sait plus lire que des nouvelles, et encore, en précipitant le lecteur in media res, au milieu d'une partouze ou d'un carnage.

    Pierre Jourde distingue trois modes d'écriture : le "rouge" de Christine Angot, Olivier Rolin (avec du style, en gros), le "blanc" de Redonnet, Bobin (de la "discrétion") et "l'écru" de Delern (de la naïveté). Tout cela forme l'air du temps ; « l'individualisme triomphe, médiocre, mesuré mais sincère » ; c'est ainsi que Jourde consacre quelques pages à ces auteurs, d’une verve qui ne faiblit jamais. Voilà Emmanuelle Berheim : « Avec en son milieu un anchois presque horizontal, sa pizza, telle une bonne grosse figure, paraissait lui sourire ». Et le commentaire : « Là, on regrette presque un manque d'ambition. Métaphysiquement, il y aurait encore beaucoup plus à tirer de la pizza, ce grand thème moderne également traité par Marie Darrieussecq. Il faudrait interroger la tomate, fouiller le lardon. » Ailleurs, au sujet d'un calembour solitaire de Delern : « il y va du calembour comme des flatulences : une seule, discrète en fin de conversation, cela manque de goût, c'est un peu honteux ; énormément et sur tous les tons, c'est de l'art ». Mais ils pullulent chez Beigbeder : Jourde nous en dresse un inventaire heureusement non exhaustif. Un bémol : Jourde examine le style à la loupe, ou commente l'intrigue de façon lapidaire.

    Idealtypus Sollers

    Inutile de vous dire que Sollers, pape de l'avant-arrière garde culturelle française est à l'honneur de La Littérature sans estomac (Un doute nous guette cependant : à lire sa prose, Sollers est-il français ?), de même que madame Savigneau sa compère, en bons symptômes de la gauche-caviar épanouie. Voilà encore un piège : Steiner dénonçait la littérature au second degré, ou critique de la critique. Jourde s'y adonne, avec Sollers d'abord, puis il reproche à "l'écriture blanche" selon Barthes d'avoir permis un style apprêté comme celui de Redonnet.

    Si Jourde a beau vouloir sauver l'anonymat des auteurs qui lui tiennent à cœur comme Eric Chevillard (Le caoutchouc décidément) Valère Novarina ou Guégan, c'est, hélas, la revigorante partie pamphlétaire de son œuvre qui retient l’attention. Le reste du temps, Jourde délaisse sa panoplie de cancre brillant contre celle de professeur, et sachez qu'il a son vocabulaire technique bien en main… Regardez-le éreinter toute cette littérature de jeune fille (livres blancs immaculés : Folio, épais d'un demi centimètre, couverture en simili-Doisneau, écrit gros et espacé à l'intérieur, mauvais genre Houellebecq, boy-scout Delern ou anorexique Bobin, et pour le blanc crème, voir Actes Sud) : il est au grand Huit ! On y retrouve le sens de l'adjectif de Vialatte, le goût des petits commentaires entre parenthèses qui ponctuent la phrase originale (le style "poil au nez"), et aussi la politesse – relative – de Léon Daudet, qu'il fustige pourtant (c'est pour mieux enfoncer Sollers page 52). Mais Jourde a hérité de lui cette vivacité un peu excessive des sévérités et des bontés, que l'on retrouve chez Bernard Franck ou Haedens.

    Pierre Jourde écrit de façon fraîche et irrésistible. On aurait envie de le féliciter. Hélas, cela le consternerait encore une fois. On lui répondra comme Du Bellay que « cent fois plus qu'à louer, je me plaist à médire / pour cequ'en médisant, on dict la vérité… »
     
     
    Jules-Marie de Saint-Hippolyte

      + Pierre Jourde : La Littérature sans estomac, L’esprit des péninsules, 2001, 336 p., 20,5 euros.

     

  • N°4 - Le caporal des troufions de la reine

    Par Jean-Baptiste Chaumeil

    Lors de sa jeunesse estudiantine, entrecoupée par la guerre du Maroc, Jacques Perret n'était pas un habitué de l'Action française et de la rue Saint-André des Arts. Mais il fut de ces journalistes, qui "couvraient” pour la presse nationale la sortie de prison de la Santé de Charles Maurras en 1937. Il garda de ce moment une admiration particulière pour le vieux maître qu'il nomma plus tard « le têtu magnifique ». Ses chemins d'avant-guerre croisèrent tout de même quelques camelots dans un rôle de « supplétifs occasionnels dans les chahuts de Sociétés Savantes, [où il] comptait quelques amis dans la faction. » Mais c'est au lendemain de la Libération que Jacques Perret devint le chroniqueur régulier du petit fait vrai de l'actualité pour Aspects de la France. Il y tint aussi un temps la rubrique théâtrale.

    Ainsi de son premier papier en 1948 intitulé "Le canular au vin" à 1970, date à laquelle il se fit plus rare, il commit là quelque cinq cent soixante quatre billets. De ses chroniques au style enlevé sur les sujets les plus grandioses comme le ticket de métro, Vincent Auriol, la crécelle, Paul Claudel, les hauts de forme, Mauriac, la Sécurité Sociale ou le tire-bouchon, Jacques Perret tire une leçon d'usage mondial ou personnel, au choix. Au besoin, il convoque dans cet exercice Chilpéric, Jeanne d'Arc ou Vercingétorix… Servi par une exceptionnelle richesse de vocabulaire, voire d'invention lexicale, le style de Jacques Perret bouillonne en catimini, mitonne sous la cape pour exploser en conclusions luxuriantes de verbes inattendus, mots cocasses et adjectifs en bataille. La puissance d'invention de son verbe est toujours au service d'une syntaxe sans faille et son propos ironique et tordant sert un regard attendri sur ses frères humains. On aurait du mal à trouver chez lui une quelconque trace de méchanceté. Et pourtant…

    De ses articles d'Aspects de la France il ne récolta pas moins de trois condamnations pour « offense au chef de l'État » et une pour « offense à la Légion d'honneur ». Il participa durant ces années à de nombreux banquets d'AF (et même de médecins d'AF). Il vint souvent au Camp Maxime Réal Del Sarte partager le méchoui de clôture avec les étudiants et les pieds-noirs réfugiés sans compter les défilés de Jeanne d'Arc où, sans esprit de carrière, il n'hésitait pas à se montrer aux côtés du Comité directeur avec Louis-François Auphan et Pierre Chaumeil.

    En 1965, l'ancêtre des Épées s'appelait AFU (Action Française Universitaire), elle était mensuelle. Jacques Perret était convié à mettre son "grain de sel" à l'occasion du dixième anniversaire du journal et il convoquait Saint-Michel à la rescousse : « Ce n'est pas le moment de lâcher Saint-Michel. C'est un personnage considérable. Il est chef de milice et caution des saintes violences. Il a beaucoup fait pour Jeanne d'Arc. Il est casqué de sagesse et cuirassé de vérités. C'est un chevalier volant qui fait beaucoup plus dans notre ciel. S'il a baptisé de son nom le grand déambulatoire du quartier latin, c'est pour y veiller, croyons-le, jour et nuit sur vos patrouilles, s'assurer de la relève et se réjouir d'une petite troupe aussi servante et gaie, sûr de son cap, et taillant sa route à travers les courants, les remous et les vasières d'une jeunesse plutôt mélangée. »(1) (AFU, mars 1965)

    Muni d'un tel viatique, nul doute que Les Épées frémiront longtemps encore dans leur royal étui. En attendant la prochaine occase…
     
     
    Jean-Baptiste Chaumeil