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Les Epées - Page 85

  • N°16 - Entretien avec Me Vergès

    Hommage à Jean-Marc Varaut 

    Propos recueillis par E. Marsala et David Foubert
    Photo : Louis Monier
    Dernier livre paru : Journal 2003-2004 : Rien de ce qui est humain ne m’est étranger, Plon, 2005.


    Comme on va le voir, malgré les oppositions politiques ou philosophiques, Jean-Marc Varaut et Jacques Vergès s’appréciaient. Ils appartenaient tous deux à la grande lignée des avocats français, à la fois libres et soucieux de ne pas s’agenouiller devant le conformisme et les tabous. Dans ce même attachement à la liberté de l’esprit, Les Épées sont heureuses d’interroger Me Vergès pour ce portrait.


    Les Épées : Quels furent vos premiers contacts avec Jean-Marc Varaut ?

    Me Jacques Vergès : Je suis un peu plus âgé que Jean-Marc mais nous nous sommes inscrits au Barreau à la même époque (moi en 1955, lui en 1956). Nous étions alors stagiaires tous les deux et préparions le concours de la Conférence du Stage, dont il fut premier secrétaire en 1959, trois ans après moi. Nous nous sommes ensuite croisés lors de la guerre d’Algérie. En 1957, je suis allé à Alger pour défendre le FLN. Lui y est arrivé en 1961 pour défendre les accusés de l’autre bord, ceux de l’Algérie française puis ceux de l’OAS. Mais nos rapports n’ont pas changé pour autant pendant cette période. Jean-Marc aimait la vérité à tel point que sur les tortures en Algérie, dont il avait d’abord nié l’existence, il est venu m’avouer en 1961 que j’avais eu raison.

    Pour vous, qu’est-ce qu’un avocat engagé ?

    C’est l’avocat qui dans les périodes de crise, défend des personnes avec qui il peut sympathiser, voire même avec qui il partage un certain nombre de convictions. Mais pour autant, il n’en devient pas l’ennemi de son confrère qui défend ceux d’en face. Je dis souvent, au grand dam de certains frileux, que j’ai eu deux maîtres au Barreau : Jacques Isorni et Tixier-Vignancourt.

    Le propre du grand avocat est-il de ne plaider que pour les causes perdues ?

    Pas forcément. Mais c’est celui qui ne les refuse pas. Dans une cause, l’objectif est double : obtenir la plus petite peine et donner un sens à ce qui arrive à l’accusé. Lui faire comprendre que le malheur qui peut lui arriver n’est pas forcément une défaite. Bernanos disait de Jeanne d’Arc que son procès ecclésiastique était un procès perdu d’avance. Mais au fond, c’est pour cela, qu’elle est morte en martyr, et qu’elle a été canonisée. Il y a des gens qui perdent un procès mais qui gagnent devant l’histoire. C’est quelque chose que Jean-Marc Varaut savait parfaitement, même s’il n’était pas aussi amateur que je le suis de la défense de rupture. Jean-Marc faisait plus confiance aux magistrats que moi. C’est une différence entre nous.

    Confiance dans le droit ou confiance dans la vertu des hommes ?

    Pour lui, assurément, c’était l’un et l’autre.

    Pourtant le procès Papon lui fit beaucoup de tort : on sait que des avocats refusaient de déjeuner avec lui à Bordeaux entre les audiences du procès Papon.

    Il m’a avoué que ce procès lui avait fait perdre une partie de sa clientèle. Il existe en France une pensée unique, une police de la pensée. Pensez ! Avoir le même avocat que Papon : un certain nombre de grands patrons se sont effrayés. En ce qui concerne les avocats, j’ai aussi connu ce genre de situation : des confrères qui se refusent de vous serrer la main, ou qui se lèvent bruyamment pendant votre plaidoirie sans parler du curé qui fait sonner le glas au début d’une autre. Mais j’ai une puissance de mépris que Jean-Marc n’avait pas. Il était gentil et extrêmement courageux. Nous avions beaucoup d’estime l’un pour l’autre, et plus encore, sur la fin, de l’amitié même.

    Dans cette défense des réprouvés, vos carrières sont donc un peu parallèles ?

    Dans une certaine mesure, en effet, même s’il appartenait à l’establishment et qu’il état issu d’une longue lignée de juristes, ce qui n’est pas mon cas. C’était un grand avocat, avec des plaidoiries très belles, issues d’une grande culture classique telles que la Conférence du Stage forme pour le faire.

    N’étiez-vous pas, en un sens, les derniers représentants d’une race d’avocats en voie de disparition ?

    C’est vrai. Mais pour autant, demeure, y compris chez les plus jeunes de nos confrères, un véritable attachement à la Défense, celui que Jean-Marc a toujours manifesté au plus haut point.
     

  • N°16 - Varaut, un cavalier français

    Par Nicolas Kayanakis
     
    À notre rencontre, en 1951, aux étudiants d’AF dont je venais de me voir confier la direction, Jean-Marc avait dix-huit ans et entrait à la Faculté de droit ; j’en avais vingt et sortais de Sciences-Po. Après plus de cinquante ans d’amitié, de fréquentations quotidiennes au temps de notre jeunesse au Quartier Latin, certes plus espacées par la suite, comment évoquer un ami qui vient de partir et faire le tri des souvenirs qui se bousculent, sans risquer de déformer ou de figer un visage qui vous reste si vivant, sans le ramener à soi ou sans le réduire aux souvenirs auxquels on est le plus attaché, souvenirs de la presque enfance ?
    Jean-Marc, c’est une balade à cheval près de Pontoise, son écharpe dans le vent devant une boutique des Champs-Élysées, la récitation d’un passage des Enfants tristes de Nimier sur un rendez-vous au Pampam ou, avec ses parents, une route heureuse un jour de printemps, vers le Congrès de l’UNEF à Rouen : le lendemain, nous serions des adultes sérieux pour accueillir avec le président de l’UNEF, Jacques Balland, une délégation d’étudiants… soviétiques qui, quelques heures plus tard, devra entendre, au Havre, le discours nationaliste de Jacques, venu de l’extrême gauche. C’est encore, toujours avec ses parents, un jour sombre d’automne, où nous allions, le cœur serré, aux obsèques de Charles Maurras. C’est aussi sa volonté quand, au cours de vacances dans le Tarn, il était descendu de la Montagne Noire à Castres pour devoir ensuite, au retour, entreprendre une remontée de vingt kilomètres à vélo.
    C’est surtout, pour ne pas dissimuler l’essentiel, la confidence de sa maman sur le long temps qui lui avait été nécessaire pour parler de sa recommandation : « ne le bousculez pas trop ». Je promis ; et je gardai le secret et, présent, le souci de ce secret. Mais ai-je vraiment tenu la promesse ?
    Pas vraiment. Il était difficile de ne pas employer les qualités exceptionnelles du garçon. Je confiais à Jean-Marc, dès sa première année de licence, la responsabilité du groupe d’AF du droit. Un an après, je lui demandai de s’inscrire en Sorbonne : la présidence du syndicat de propédeutique allait être vacante. J’en disposai et fis élire Jean-Marc Varaut. Je me demande quelquefois si là n’est pas le clinamen qui le conduira à un doctorat de lettres et à une charge de cours de métaphysique, éléments d’une carrière qu’il poussera jusqu’à l’Institut.
    Néanmoins, c’est comme délégué de la Faculté de droit que Jean-Marc Varaut participera au congrès national contre la CED constitué sous le patronage de parlementaires et de soldats (Monsabert, Bénouville, etc.), et qui ne contribuera pas peu à faire avorter la projet d’armée européenne. Varaut en fut l’un des principaux animateurs étudiants. Cinquante ans après, l’armée européenne n’a pas vu le jour. De même, il ne sera pas étranger à l’actuel rejet de la constitution européenne.
    Pendant les années cinquante, notre action commune était conduite par Pierre Boutang. Vingt ans plus tard – comme le rappelle Varaut dans le Dossier H consacré à Boutang –, revenu à ses études de métaphysique en Sorbonne au moment où Boutang y donnait son premier cours, cette coïncidence heureuse lui permettra de monter la garde à l’entrée du cours que les gauchistes avaient prétendu empêcher.
    Cette fidélité conduira Varaut à être le principal animateur de l’Association Pierre Boutang, après la mort du maître ; et lors d’un colloque « Reprendre le pouvoir » de l’association, après un exposé que je venais de faire, Varaut rappelait qu’à l’occasion nous avions pu avoir des divergences, notamment en 1954, lorsque la direction de l’AF avait écarté Boutang du journal Aspects de la France. Jean-Marc était resté dans la vieille maison, alors que je m’en éloignais (peu, et peu de temps). La courtoisie attachée à toutes ses démarches n’empêchait pas de telles clartés même sur des désaccords. Cette qualité le gardait de tomber dans la classe politique dont les mœurs lui restaient étrangères.
    Sa fidélité à sa formation royaliste et à son catholicisme ont été sans faille. Elle s’est exprimée entre autres dans ses livres : La défense du roi, ou le chapitre “Charles Maurras” dans Poètes en prison dont mon exemplaire porte en dédicace : « ces poètes, dont notre maître Charles Maurras ».
    Peut-être fut-il moins heureux avec Le procès de Jésus dont la brillante reconstitution ne m’a pas tout à fait convaincu : s’il réussit à attribuer à la justice romaine la responsabilité de la condamnation, c’est sans parvenir à occulter qu’elle était réclamée par le Sanhédrin juif, qui n’avait plus la capacité de prononcer une condamnation. Autre façon de pouvoir « s’en laver les mains ».
    La guerre d’Algérie nous avait éloignés (géographiquement), puis nos carrières différentes. Mais très vite la guerre d’Algérie rapprochait. Varaut me retrouvait au parloir de la prison de la Santé que nous fréquentions l’un et l’autre à des titres différents…
    Puis, quand plus tard, mais bien plus tard que lui, je revenais à l’Université pour une thèse sur l’Algérie française, mes professeurs de jadis ayant sauf un disparu, c’est à Jean-Marc Varaut que j’ai demandé d’être mon parrain, ce qui lui donna l’occasion d’une recommandation particulièrement élogieuse : mon éloignement des études aurait tenu à mon choix « d’assurer les engagements militaires de la France ».
    D’autres circonstances (tristes) nous rapprochèrent : ainsi, aux obsèques du commandant Guillaume, le « Crabe-Tambour », je vis Maître Varaut, qui avait été son avocat devant les tribunaux d’exception de la république, porter le cercueil de cet ami déjà légendaire.
     
    Avocat de la France
     
    J’ai mieux encore retrouvé Jean-Marc Varaut à la fin des années quatre-vingt-dix, quand j’ai repris du service à l’Action française pour y assurer la direction du mouvement et, après une scission qu’il venait de subir, en assurer le redéploiement. Jean-Marc, dans un souci d’unité de la famille royaliste aurait préféré me voir me rapprocher de la scission dont je n’appréciais pas le comportement : respectant ma position, il s’est gardé de me parler de la sienne qui m’est revenue par des amis communs. Jean-Marc n’en a pas moins répondu à tous mes appels pendant cette période d’action militante.
    Tout d’abord, pour les manifestations d’Action française : il a aussitôt signé avec une centaine de personnalités, ambassadeurs, universitaires, ministres, avocats, le Manifeste pour la souveraineté de la France que nous avions lancé en 1998, « contre l’abandon de la liberté politique de la France ».
    En mai 1998, à la veille de la fête de Jeanne d’Arc, il a été l’orateur vedette d’une réunion sur « l’indépendance de la France, garantie de nos libertés » sous la présidence d’honneur de Pierre Boutang, alors hospitalisé. Il y ajoutait en novembre une conférence à l’Institut d’Action française sur la « Défense de la France ».
    Le 20 juin 1999, s’est tenue la journée du centenaire de l’Action française dans une grande salle comble de la Mutualité, journée dont le commissaire général était David Sellos. La matinée a été consacrée à une table ronde que j’animais sur « la France souveraine » et qui réunissait auprès de Varaut notamment quelques grands noms de l’AF : Jean-Louis Daudet, Jean-Baptiste Biaggi ainsi que Georges Laffly, notre responsable des étudiants d’AF d’Alger quand nous étions étudiants. Dans la salle, au premier rang, Hervé et Jacques Bainville. La table ronde conclura que « pour exister, la France a besoin d’être souveraine ».
    Parallèlement, Varaut sera, dans la même ligne de pesée et d’action, de toutes les principales actions souverainistes autour de l’année 2000.
    Après les manifestations organisées à Versailles, le 18 janvier 1999 par l’Alliance pour la souveraineté de la France – et ordonnées par l’Action française –, manifestation qui avait conspué les parlementaires venus voter contre la France, s’est tenue au château, face au Congrès de la trahison, une réunion du Conseil National Souverainiste dont Jean-Marc, qui en faisait partie, a été l’orateur le plus chaleureux et le plus émouvant : la « nation France est la condition normale de l’accès à l’universel ».
    Avocat de la France, Varaut ne la limitait pas à la seule période monarchiste. Il savait se souvenir que contre l’ennemi prussien, la France avait été gardée à Valmy par l’armée, il est vrai « du roi », mais « renforcée de volontaires ». Il allait même jusqu’à soutenir que les « droits de l’homme » avaient leur origine dans l’Ancien régime, ce qui ne manquait pas de rendre grincheux quelques royalistes moins ouverts.
    Je dois, pour conclure, ajouter que, ne se bornant pas à mettre son talent d’orateur au service de la France, cet homme de culture et de combat, tout au long de sa carrière d’avocat prestigieux dont les médias avaient bien dû rendre compte largement, et parallèlement à une ascension qui l’a conduit à l’Académie des sciences morales et politiques, n’a pas cessé d’être le défenseur bénévole et efficace de tous les militants d’Action française, poursuivis ou condamnés, qui se sont adressé à lui, et au service desquels il a mis son talent et sa voix.
    Ce fut sans aucun doute la plus belle manifestation de ses qualités de cœurs.
    À Dieu, Jean-Marc, donc au revoir.
     
     
    Nicolas Kayanakis