Hommage à Jean-Marc Varaut
Propos recueillis par E. Marsala et David Foubert
Photo : Louis Monier
Dernier livre paru : Journal 2003-2004 : Rien de ce qui est humain ne m’est étranger, Plon, 2005.
Comme on va le voir, malgré les oppositions politiques ou philosophiques, Jean-Marc Varaut et Jacques Vergès s’appréciaient. Ils appartenaient tous deux à la grande lignée des avocats français, à la fois libres et soucieux de ne pas s’agenouiller devant le conformisme et les tabous. Dans ce même attachement à la liberté de l’esprit, Les Épées sont heureuses d’interroger Me Vergès pour ce portrait.
Les Épées : Quels furent vos premiers contacts avec Jean-Marc Varaut ?
Me Jacques Vergès : Je suis un peu plus âgé que Jean-Marc mais nous nous sommes inscrits au Barreau à la même époque (moi en 1955, lui en 1956). Nous étions alors stagiaires tous les deux et préparions le concours de la Conférence du Stage, dont il fut premier secrétaire en 1959, trois ans après moi. Nous nous sommes ensuite croisés lors de la guerre d’Algérie. En 1957, je suis allé à Alger pour défendre le FLN. Lui y est arrivé en 1961 pour défendre les accusés de l’autre bord, ceux de l’Algérie française puis ceux de l’OAS. Mais nos rapports n’ont pas changé pour autant pendant cette période. Jean-Marc aimait la vérité à tel point que sur les tortures en Algérie, dont il avait d’abord nié l’existence, il est venu m’avouer en 1961 que j’avais eu raison.
Pour vous, qu’est-ce qu’un avocat engagé ?
C’est l’avocat qui dans les périodes de crise, défend des personnes avec qui il peut sympathiser, voire même avec qui il partage un certain nombre de convictions. Mais pour autant, il n’en devient pas l’ennemi de son confrère qui défend ceux d’en face. Je dis souvent, au grand dam de certains frileux, que j’ai eu deux maîtres au Barreau : Jacques Isorni et Tixier-Vignancourt.
Le propre du grand avocat est-il de ne plaider que pour les causes perdues ?
Pas forcément. Mais c’est celui qui ne les refuse pas. Dans une cause, l’objectif est double : obtenir la plus petite peine et donner un sens à ce qui arrive à l’accusé. Lui faire comprendre que le malheur qui peut lui arriver n’est pas forcément une défaite. Bernanos disait de Jeanne d’Arc que son procès ecclésiastique était un procès perdu d’avance. Mais au fond, c’est pour cela, qu’elle est morte en martyr, et qu’elle a été canonisée. Il y a des gens qui perdent un procès mais qui gagnent devant l’histoire. C’est quelque chose que Jean-Marc Varaut savait parfaitement, même s’il n’était pas aussi amateur que je le suis de la défense de rupture. Jean-Marc faisait plus confiance aux magistrats que moi. C’est une différence entre nous.
Confiance dans le droit ou confiance dans la vertu des hommes ?
Pour lui, assurément, c’était l’un et l’autre.
Pourtant le procès Papon lui fit beaucoup de tort : on sait que des avocats refusaient de déjeuner avec lui à Bordeaux entre les audiences du procès Papon.
Il m’a avoué que ce procès lui avait fait perdre une partie de sa clientèle. Il existe en France une pensée unique, une police de la pensée. Pensez ! Avoir le même avocat que Papon : un certain nombre de grands patrons se sont effrayés. En ce qui concerne les avocats, j’ai aussi connu ce genre de situation : des confrères qui se refusent de vous serrer la main, ou qui se lèvent bruyamment pendant votre plaidoirie sans parler du curé qui fait sonner le glas au début d’une autre. Mais j’ai une puissance de mépris que Jean-Marc n’avait pas. Il était gentil et extrêmement courageux. Nous avions beaucoup d’estime l’un pour l’autre, et plus encore, sur la fin, de l’amitié même.
Dans cette défense des réprouvés, vos carrières sont donc un peu parallèles ?
Dans une certaine mesure, en effet, même s’il appartenait à l’establishment et qu’il état issu d’une longue lignée de juristes, ce qui n’est pas mon cas. C’était un grand avocat, avec des plaidoiries très belles, issues d’une grande culture classique telles que la Conférence du Stage forme pour le faire.
N’étiez-vous pas, en un sens, les derniers représentants d’une race d’avocats en voie de disparition ?
C’est vrai. Mais pour autant, demeure, y compris chez les plus jeunes de nos confrères, un véritable attachement à la Défense, celui que Jean-Marc a toujours manifesté au plus haut point.