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revue - Page 45

  • N°19 - Editorial "Fantasmes du complot"

    Le bruit et la fureur

    Life's but a walking shadow, a poor player
    That struts and frets his hour upon the stage
    And then is heard no more. It is a tale
    Told by an idiot, full of sound and fury,
    Signifying nothing.
    William Shakespeare, The Tragedy of Macbeth
     

    La presse étrangère considère avec ironie et sans compassion notre pauvre pays. Imaginons les fameux Persans de Montesquieu, assistant à un autodafé devant la Sorbonne, croisant des cortèges de centaines de milliers de mineurs ignares et vindicatifs, ou bien des petits barbares recherchant des professions où ils ne travailleraient pas, et découvrant dans les compte rendus que des bandits s'attaquent à ces mêmes manifestants. Étonnés par les valses et les incuries du pouvoir, ils seraient abasourdis par le jeunisme et par l'incroyable démagogie de la gauche à l'occasion de ce tapage, et par la soumission sacrificielle des forces de police. Nos Persans se seraient renseignés sur les agitateurs et auraient noté leurs discours : selon eux, la loi de la rue est supérieure à celle du vote, la France est dans une situation de capitalisme sauvage, d'esclavagisme et de colonialisme déguisés, il faut se révolter contre les patrons, la droite et la démocratie, celle-ci n'étant qu'une apparence.
    medium_cpe-sorbonne.jpgLa gauche, qui a fait de l'antipopulisme son cheval de bataille, s'est montrée ici infiniment plus dangereuse que toute forme de populisme actuel parce qu'elle a sciemment faussé le débat, menti sur ses termes, excité le ressentiment, provoqué la haine, multiplié l'intimidation ; elle a mis en causele droit commun des gens et s'est montrée complice du renouveau révolutionnaire de l'extrême-gauche.
    Un pays ridiculisé, des centaines de millions d'euros dépensés, une économie inquiétée, le sens du travail, du devoir et des responsabilités une fois encore bafoué et conspué (depuis les prétendues élites jusqu'à la "base"), la politique pour l'emploi des jeunes annulée, voilà ce que fut le début de 2006. Le sommet du ridicule est atteint par ces anciens soixante-huitards transférant leur imaginaire imbécile sur leurs enfants, eux-mêmes dociles dès qu'il s'agit de sentiments vagues et faciles qui flattent leur bonne conscience et cultivent leur goût victimaire. Notre démocratie voit exploser sa plèbe et imploser sa "culture". Notre mémoire collective est chargée d'expériences sur la beauté silencieuse de l'unité et les bruits terribles de la division. En dépit de l'atterrement que ces événements inspirent, la France a encore de quoi se battre. C'est en tout cas notre espérance, et notre devoir. Le désagrégement de la société, les relents de guerre civile qui se sentent d'un côté ou d'un autre, sont le résultat logique et inéluctable du manque de France (1), de l'oubli du bien commun (2), d'une négligence fondamentale vis-à-vis du " vivre ensemble " (3) que nous rappellent aujourd'hui Jean-François Colosimo, François Huguenin ou Frédéric Rouvillois. Le message monarchiste prend aujourd'hui une urgence particulière.

     
    Les Épées
     

    1. J-F. Colosimo : " Le manque de France ", Le Figaro
    2. F. Huguenin : Le conservatisme impossible.
    3. F. Rouvillois : "L'identité comme mémoire et comme amitié", 2050, n°1.

  • N°18 - Editorial "Défense de la frontière"

    Normal

    Le dimanche 13 novembre, à l’issue de la 17e nuit d’émeutes consécutive à bercer le sommeil de la France, le directeur général de la police nationale, Michel Gaudin, se félicitait d’une « sérénité retrouvée » : seulement 374 voitures avaient brûlé pendant la nuit, dont 76 pour l’Ile-de-France. « C’est quasiment un chiffre normal » pour une nuit de samedi, medium_emeutes.jpgajoutait ce flic rassurant. Normal, donc, que près de 400 voitures brûlent tous les samedis pour assurer le divertissement – résolument non pascalien – de populations trop abruties pour regarder Jean-Pierre Foucault à la télé. Normal que nos politiques, après avoir résolu le problème en attendant que les émeutiers se fatiguent, se remettent à travailler aux vrais problèmes dont dépend l’avenir du pays : empêcher la publication d’une bio de Cécilia, inventer de nouveaux impôts, lutter contre la fuite des cerveaux en Afrique en proposant davantage de visas aux populations africaines, commenter les nouvelles lunettes du sous-président Chirac.

    Normal que le débat politique français, pendant une semaine entière, porte exclusivement sur le bilan de la colonisation, le rôle positif de la France dans l’expansion de l’esclavage et l’urgente question de savoir si Napoléon mérite de détrôner Hitler dans le rôle du grand méchant loup. Normal que ce débat ait paru nouveau et captivant, après une autre semaine, elle consacrée à savoir s’il fallait pendre Alain Finkielkraut ou juste lui couper la langue. Normal qu’un intellectuel, relisant l’entretien qu’il a donnée, soit contraint de dire que celui qu’il a relu n’est pas le même que celui qu’il a donné.

    Normal qu’on n’ose même plus aborder les problèmes de l’heure, quand parler de ceux d’il y a cinquante ou deux cent ans suffit à vous valoir l’excommunication. Normal que ceux qui veulent le faire sans détour aillent donner des interviews à l’étranger. Normal qu’ils doivent s’excuser une fois rentrés en France. Normal que la France doive passer son temps à s’excuser d’avoir apporté la civilisation et le bien-être à des pays entiers, qui ont puisé dans son héritage les moyens de la contester. Normal qu’elle oublie de fêter ses victoires, mais jamais ses défaites. Normal que des populations entières retournent tranquillement à l’état de barbarie, quand les élites censées s’occuper de leur cas ignorent les règles les plus élémentaires de la civilisation. Normal que ceux qui nous gouvernent feignent depuis des décennies de croire que les seules difficultés qu’affronte la France se mesurent en montant de la dette extérieure et en taux de croissance. Normal que personne ne leur demande de comptes. Normal qu’un pays change radicalement de population en moins de cinquante ans. Normal que tout le monde s’en foute. Dormez bien, braves gens, tout est normal. Jusqu’à la prochaine fois.

     
     Les Épées