Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

N°27 - Changer de cap, vite !

Par NK

pdegalles.jpgLes discours un peu creux sur le «développement durable» ne suffisent plus à masquer l’urgence d’un véritable débat sur le destin de nos sociétés. Une période de décroissance est sans doute désormais inévitable. Avec le prince de Galles, commençons à préparer la suite.

La récente flambée du prix du pétrole restera probablement dans l’histoire comme le premier signe d’une prise de conscience collective. Le premier signe de la prise de conscience par nos contemporains de l’impossibilité matérielle de poursuivre indéfiniment sur la voie d’une croissance économique alimentée par une augmentation exponentielle de la consommation d’énergie restera, de ce point de vue, l’emballement soudain du fameux « prix à la pompe » qui a eu sur les mentalités un impact beaucoup plus grand que les documentaires d’Al Gore ou les imprécations des gourous scandinaves de la deep ecology. C’est en comptant ses sous à la fin du mois que le citoyen-consommateur commence à réaliser à quel point son mode de vie et son confort dépendent du gaspillage de ressources naturelles qui n’ont rien d’inépuisables.
Les chiffres sont implacables. L’humanité ne dispose plus au rythme de consommation actuel que de 40 années de réserves de pétrole, 55 années de réserves d’uranium et 70 années de réserves de gaz. Le « pic de production » à partir duquel la production mondiale d’hydrocarbures va inexorablement commencer à décroître est attendu dans le courant de la prochaine décennie. Les nouveaux gisements sont difficiles d’accès et leur exploitation représente un coût énergétique qui risque de devenir rapidement prohibitif. Or les besoins en énergies fossiles devraient dans le meilleur des cas doubler d’ici 2040. On va donc assister à une dissociation croissante de l’offre et de la demande. Dans ces conditions un cours du brut à l’horizon 2015 à plus de 400 dollars le baril n’a plus rien d’un fantasme.
S’ils sont apparemment conscients du problème, les pouvoirs publics restent dans l’ensemble acquis à l’étonnant optimisme de la vulgate libérale. Celle-ci postule que le libre jeu de l’offre et de la demande finira “naturellement” par changer les mentalités. En gros, l’augmentation du prix de pétrole encouragera les économies d’énergie et stimulera la recherche de technologies nouvelles, qui permettront à l’humanité de s’affranchir progressivement de sa dépendance aux hydrocarbures. On apprendra à se passer du pétrole comme on a jadis appris à se passer du charbon. Certains économistes estiment ainsi qu’on pourrait dès aujourd’hui produire autant avec quatre fois moins de matières premières et d’énergie. Il suffit selon eux de laisser le marché stimuler la créativité des scientifiques et inciter les industriels à opérer les aménagements indispensables.
On retrouve peu ou prou la même vision des choses derrière la rhétorique fumeuse du “développement durable’’, expression sociale-démocrate d’une écologie au rabais qui aimerait avoir le beurre – la croissance – l’argent du beurre – la préservation de l’environnement – et éventuellement le c. de la crémière – autrement dit les faveurs de l’opinion. Partant du principe que « seule une nouvelle ère de croissance vigoureuse peut résoudre les problèmes actuellement posés par la croissance mondiale » ses adeptes entendent mettre en place, par un système complexe d’« écotaxes », d’incitations financières et de réglementations tatillonnes un « marché de la pollution » qui accélère l’avènement dans le monde entier d’une “économie propre”. Tout en laissant à une technocratie totalement impuissante face aux lobbies le soin d’édicter le cahier des charges de ce « grand bond en avant ».
Rien n’indique hélas qu’un nouveau « bond en avant » technologique permettra à court terme aux économies industrielles de réduire de façon significative leur consommation d’énergies fossiles. Les énergies de substitutions existent, certes, mais elles sont complexes à produire, et tout à fait incapables de remplacer le pétrole avec la même efficacité et des coûts – de transport notamment – aussi faible. Ce n’est pas avec des éoliennes qu’on va faire fonctionner les avions de ligne ou les porte-conteneurs. Et ce n’est pas la fusion nucléaire qui va suppléer aux besoins des agriculteurs chinois. Sans même parler des dérivés des hydrocarbures – plastiques, engrais ou insecticides – dont nos économies ne peuvent se passer et pour lesquelles aucune solution de remplacement n’est actuellement envisageable.
Il nous faut donc regarder les choses en face : l’humanité est à la veille d’une sévère cure d’amaigrissement – la plus sévère peut-être qu’elle ait jamais connue. Comme l’écrivait joliment Kenneth Boulding, « celui qui croit qu’une croissance exponentielle peut continuer indéfiniment dans un monde fini est un fou – ou un économiste ». De fait, c’est peut-être la parenthèse ouverte à la fin du XVIIIe siècle par la révolution industrielle qui est en train de se refermer. Il faudra dans les décennies à venir s’habituer à consommer moins d’énergie. Et vraisemblablement à consommer moins tout court. Comme l’annoncent depuis plusieurs années l’économiste français Serge Latouche, le suisse Jacques Grunevald ou l’écologiste anglais Edward Goldsmith, le grand défi du XXIe siècle est la gestion de la « décroissance », dans la mesure où il va sans doute falloir, selon les termes employés par les participants du colloque fondateur qui s’est tenu à l’UNESCO en 2002 « défaire le développement pour refaire le monde ».
Les solutions, on les connaît : produire au plus près des consommateurs ; « relocaliser » l’économie en réduisant et rationalisant les flux de marchandises ; utiliser réellement les ressources des technologies numériques pour dématérialiser certains services coûteux en énergie ; repenser l’urbanisme en éradiquant les véhicules individuels et en généralisant les recours aux transports en commun ; promouvoir les cultures vivrières et renoncer à l’agriculture intensive ; cesser de vouloir à tout prix pousser les pays du Sud dans la direction d’un « développement » à l’occidentale ; valoriser la frugalité et non plus le gaspillage ; rompre avec la culture du gadget et revenir à des biens de consommation durables ; avoir enfin sans cesse à l’esprit de « réduire, voire supprimer, le poids sur l’environnement des charges qui n’apportent aucune satisfaction » (Serge Latouche).
(…)

La suite dans la revue...

Les commentaires sont fermés.