Nous paraissons bien tard*. Mais le monde n’a pas encore croulé (à franchement parler, nous n’avions pas suspendu notre parution à cet écroulement). Nous sommes d’ailleurs à peu près certains qu’il ne s’effondrera pas, pas comme ça, pas d’un bloc. On ne peut pas se résigner à envisager un Occident brutalement anéanti alors que la France vient de modifier, une fois encore, sa constitution, apportant ainsi au monde (une fois encore) l’exemple d’une réflexion politique experte autant que vivante.
Et puis de toute façon, même si l’exemple français n’a pas l’audience qu’on croit, quelques centaines de milliards d’euros iront regonfler nos économies capitalistes. Ça nous laissera le temps de sortir encore quelques numéros. Mais ce thème de la croissance / décroissance est loin d’être épuisé. Nous ne faisons qu’en esquisser une première exploration avant d’y revenir, tant le thème paraît riche, et vaste, et profus. Cette occidentalisation forcée du monde va-t-elle par ces curieux biais de la crise et de l’instrumentalisation des mauvaises consciences aboutir à une civilisation universelle différente ?
Sommes-nous condamnés à un “développement durable” qui reproduit surtout les mécanismes du marché ? Plus que jamais avides de bonnes questions, laissant aux politiques les réponses toutes faites, toutes cuites, bien digérées et régurgitées, Les Épées veulent continuer à s’interroger, avec vous, sur ce qui peut porter notre espérance, ici, aujourd’hui, et sans doute demain. Ni folkloriques, ni héroïques, ni théoriques, ni consolants, vivants.
Les Épées
Commentaires
Les royalistes de la fin du 20° siècle ont voulu s'approprier le situationnisme, ceux du début du 21° se veulent apôtres de la décroissance.
Comme cela s'est déjà produit dans d'autres dossiers, on a d'abord du mal à saisir le concept. La décroissance, c'est ici une fatalité, là une nécessité, là encore une doctrine, et ailleurs une posture personnelle. Nous avons bel et bien affaire à un concept glissant, ce qui devait déjà nous nous mettre la puce à l’oreille. Néologisme fondateur, absence de fondements enracinés, références anecdotiques, recours à un changement politique, prophétisme quasi-apocalyptique, bref, n’est-on pas face à une magnifique construction idéologique ? Pas sûr d’ailleurs qu’elle valle mieux que celle du développement durable.
Mais est-ce le pire dans cette affaire ? Hélas non. Il ne suffit pas en effet d'accoler un brillant article sur la modernité (celui de E. Marsala) pour faire de la décroissance une forme d'anti-modernité ou son actuelle traduction. Bien au contraire, nous pensons - les indices sont nombreux - que la décroissance est en quelque sorte le paroxysme de la modernité ou une néo-modernité : il ne s'agit plus de donner une supériorité à ce qui est ultérieur, il s'agit de proclamer ni plus ni moins qu’une certaine apogée de l'humanité. De prétendre que, arrivés à un point de non retour (et après avoir profité du pétrole et de la croissance économique pour visiter le monde et en tirer ce genre de conclusions) le monde se dirige inexorablement vers une récession économique sans précédent et que celle-ci, du reste, est souhaitable.
Pour ceux qui auraient été sublimés par l’évidence des constats et postulats de ces articles, voici quelques mots et expressions choisies dans les deux articles en question, qui mis bout à bout traduisent un certain état d’esprit : "révision", "totale revisitation", "nous sommes dans un monde auquel je n'appartiens déjà plus", "la décroissance est une cause qui n'existe même pas", "demi-tour", "conservatisme révolutionnaire", "rupture radicale" (x2), "défaire le développement", et de conclure en un magnifique "aucun retour n'est possible". On touche également de près à certaines dérives d’un autre temps : la "source de tous nos maux" étant la surpopulation mondiale, la décroissance ne peut se concevoir sans une restriction des naissances. Mais c’est bien sûr : on ne peut pas promettre des êtres humains à une telle vie ! J’ai déjà entendu ça quelque part…
Heureusement, contrairement à la gauche qui, selon NK, ne dispose d'aucun projet crédible en matière économique, ce dernier nous donne une idée très précise du remède : refonte du système éducatif, revalorisation de l'artisanat et des carrières manuelles. Nous v'là sauvés, comme dirait l'autre.
Il faut dire que le simple fait qu'Alain de Benoist soit, plus ou moins, à l'origine de cet engouement à droite pour la décroissance, aurait du m'alerter et alerter mes amis. Mais Ulysse préfère écouter les sirènes, même s'il doit pour cela se faire attacher à son mât. Qu'à cela ne tienne ! Si des critiques naissent ici ou là, nous aurons un nouvel éditorial vantant les mérites d’articles qui provoquent des réactions négatives (plus qu'un débat), ce qui suffit à les légitimer. Ben voyons !