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Les Epées - Page 73

  • N°19 - Chapeau du dossier "Fantasmes du complot"

    C’est dans la sombre matrice du complot que naît et grandit la nation démocratique. Non pas forgée au grand jour par les épreuves subies et traversées ensemble, ou mûrie par les jours tranquilles, mais sourdement travaillée par les énergies occultes, irriguée par de troubles humeurs : sectes souterraines, fratries perverses, compagnies aux desseins cachés, riches infâmes, tyrans secrets…
    Car ce voile jeté sur la réalité l’illumine d’un jour rationnel : tout est simple puisque tout s’explique par une Puissance amorphe, à la prodigieuse énergie vitale, dont le seul but est de détruire les glorieux jours à venir. Chaque échec, chaque vérité cruelle opposée par la réalité, chacune des comédies du pouvoir, tout n’est que la résultante mécanique, rhétorique, idéale, de l’action cachée mais éclatante du Complot Permanent.
    Envers symbolique et nécessaire de tous les pouvoirs révolutionnaires, parfait instrument d’explication fantasmatique – et donc irréfutable, le complot traverse toute la société moderne, du XVIIIe au XXIe siècle. Les Épées l’examine, le scrute, le décrypte.
    Ici l’ombre.

     

     

     

  • N°18 - Editorial "Défense de la frontière"

    Normal

    Le dimanche 13 novembre, à l’issue de la 17e nuit d’émeutes consécutive à bercer le sommeil de la France, le directeur général de la police nationale, Michel Gaudin, se félicitait d’une « sérénité retrouvée » : seulement 374 voitures avaient brûlé pendant la nuit, dont 76 pour l’Ile-de-France. « C’est quasiment un chiffre normal » pour une nuit de samedi, medium_emeutes.jpgajoutait ce flic rassurant. Normal, donc, que près de 400 voitures brûlent tous les samedis pour assurer le divertissement – résolument non pascalien – de populations trop abruties pour regarder Jean-Pierre Foucault à la télé. Normal que nos politiques, après avoir résolu le problème en attendant que les émeutiers se fatiguent, se remettent à travailler aux vrais problèmes dont dépend l’avenir du pays : empêcher la publication d’une bio de Cécilia, inventer de nouveaux impôts, lutter contre la fuite des cerveaux en Afrique en proposant davantage de visas aux populations africaines, commenter les nouvelles lunettes du sous-président Chirac.

    Normal que le débat politique français, pendant une semaine entière, porte exclusivement sur le bilan de la colonisation, le rôle positif de la France dans l’expansion de l’esclavage et l’urgente question de savoir si Napoléon mérite de détrôner Hitler dans le rôle du grand méchant loup. Normal que ce débat ait paru nouveau et captivant, après une autre semaine, elle consacrée à savoir s’il fallait pendre Alain Finkielkraut ou juste lui couper la langue. Normal qu’un intellectuel, relisant l’entretien qu’il a donnée, soit contraint de dire que celui qu’il a relu n’est pas le même que celui qu’il a donné.

    Normal qu’on n’ose même plus aborder les problèmes de l’heure, quand parler de ceux d’il y a cinquante ou deux cent ans suffit à vous valoir l’excommunication. Normal que ceux qui veulent le faire sans détour aillent donner des interviews à l’étranger. Normal qu’ils doivent s’excuser une fois rentrés en France. Normal que la France doive passer son temps à s’excuser d’avoir apporté la civilisation et le bien-être à des pays entiers, qui ont puisé dans son héritage les moyens de la contester. Normal qu’elle oublie de fêter ses victoires, mais jamais ses défaites. Normal que des populations entières retournent tranquillement à l’état de barbarie, quand les élites censées s’occuper de leur cas ignorent les règles les plus élémentaires de la civilisation. Normal que ceux qui nous gouvernent feignent depuis des décennies de croire que les seules difficultés qu’affronte la France se mesurent en montant de la dette extérieure et en taux de croissance. Normal que personne ne leur demande de comptes. Normal qu’un pays change radicalement de population en moins de cinquante ans. Normal que tout le monde s’en foute. Dormez bien, braves gens, tout est normal. Jusqu’à la prochaine fois.

     
     Les Épées