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Les Epées - Page 69

  • N°21 - Editorial "La politesse contre la démocratie ?"

    Parlons vrai
    « Nous n’avons plus tellement le choix. Nous n’en avons plus, parce que nous avons tout foutu en l’air. Non pas un peu, mais complètement. En Europe, il n’y a pas un pays qui ait fait une connerie aussi colossale que nous […] Évidemment, nous avons menti tout au long de ces 12-18 derniers mois […] Et avec ça, nous n’avons rien foutu pendant quatre ans. Rien. Je ne peux citer aucune mesure importante dont nous puissions être fiers – à part le fait que le gouvernement a réussi à se démerder à la fin en gagnant les élections. […] Au lieu de gouverner, nous avons menti, matin, midi et soir ! ».
    L’homme qui parle avec cette franchise désarmante est le premier ministre socialistes hongrois, Ferenc Gyurcsány, s’exprimant le 26 mai dernier devant les parlementaires de son parti. Ces propos n’étaient pas destinés à être mis sur la place publique, mais un micro était ouvert qui aurait dû rester fermé. Rendus publics le 17 septembre, ils ont déclenché quelques nuits d’émeutes et une défaite relative du parti gouvernemental aux municipales suivantes ; mais Ferenc Gyurcsány est toujours premier ministre et, au plus fort de la crise, 51 % des Hongrois souhaitaient qu’il reste à son poste.
    De quoi en tirer des leçons pour les gouvernements de tous les pays. Imaginons un peu : Bush comprenant que la seule façon de ne pas terminer son mandat par une débâcle est d’avouer qu’il a toujours su que l’Irak ne détenait pas d’armes de destruction massive. Blair retrouvant sa popularité en confessant que sa seule politique étrangère fut toujours de relayer servilement les positions américaines. Jacques Chirac convoquant le peuple français devant sa télévision pour annoncer publiquement, au 20 heures de TF1, que les affaires intérieures l’ont toujours emmerdé, qu’il n’a jamais eu la moindre idée de ce qu’il devait faire du pouvoir que les urnes lui ont donné et que son obsession antiraciste affichée n’avait jamais eu d’autre but que de camoufler son manque de convictions. medium_Philippe-Douste-Blazy.jpgPhilippe Douste-Blazy lâchant benoîtement qu’il ne sait même pas combien d’États compte l’Union Européenne, et qu’il n’arrive toujours pas à différencier la Syrie de la Libye. Ségolène Royal confessant avec gourmandise que sous ses dehors souriants, elle cache une dominatrice qui ferait passer Cruella d’Enfer pour un modèle de guimauve, et que la principale activité de son éventuel quinquennat sera de nous en faire baver. Fabius, soulagé, se délivrant enfin du fardeau de cacher qu’il n’a jamais été de gauche, et qu’il a toujours haï les pauvres. Jack Lang admettant enfin qu’il méprise les jeunes, même s’il aime bien les enfants. Sarkozy révélant enfin qu’il compte autant respecter ses promesses électorales qu’il le fit de son mandat d’officier municipal le jour où, mariant en sa mairie de Neuilly Jacques Martin à une certaine Cécilia, il réfléchissait déjà aux moyens de la lui piquer. Le même Sarko avouant en rigolant qu’il n’a pas la moindre idée de la façon d’arrêter le flot de l’invasion migratoire, et qu’en plus il s’en contrefout… Et tous en cœur de confesser que, dans leur esprit, il y a beau temps que la France est morte, et que la seule chose que ça leur inspire, c’est un lâche soulagement. Imaginons mieux encore : rendus libres par la vérité, tous ces braves gens, emportés par leur élan, décideraient enfin de renoncer à la politique, nous rendant libres du même coup. Libres d’édifier un régime où le mensonge public ne serait plus la forme obligatoire de la politique, où l’élection ne multiplierait plus les pièges à cons, où l’on pourrait enfin avoir confiance en quelqu’un parce que son pouvoir ne dépendrait que de lui, et pas de nous, parce que nous saurions d’où il vient et où il sait aller. Un régime où les mots de la politique ne seraient plus, enfin, des farces, mais de ces paroles forcément vraies, parce que libres. Où l’on pourrait ressusciter un mot si noble qu’il passe aujourd’hui pour désuet – où pourront passer nos lèvres, sans ridicule et sans honte, le beau nom de Majesté.
     

    Les Épées

  • N°21 - Extraits d'articles

    Chapeau du dossier "Politesse"

    La politesse est-elle le masque hypocrite du vice, et donc l’instrument d’un pouvoir asservissant, ou le rempart portatif de ceux que la modernité épuisent ?
    On sent bien qu’elle n’est pas innocente mais au contraire grosse de pensées inavouées, de systèmes complexes, de subtilités statutaires qui dépassent largement la question du tutoiement.
    Avec Frédéric Rouvillois comme porte-lanterne, Les Épées explorent ce champ si particulier du lien social pour y découvrir la démocratie à l’œuvre : antipolitesse révolutionnaire, bienséance du langage, pièges de la “bonne franquette” à la Franklin et douceurs suries des manières survivantes de l’Ancien Régime, la politesse s’avère une fois encore un combat, la civilité une question de civilisation. On ne se refait pas.




     

    Chapeau du dossier "Maurras"
     
    Maurras ne pourra prendre la place qu’il mérite dans l’histoire tant que deux attitudes stériles feront perdurer sa malédiction : la patrimonialisation et la stigmatisation ; deux attitudes à l’égard de l’œuvre de Maurras qui suivent des intérêts divergents mais contribuent également à faire des faux Maurras… D’un côté, c’est un nazi totalitaire, un jacobin blanc, de l’autre un catholique traditionaliste. Dans les deux cas toutes les subtilités du personnage disparaissent. Il n’y a pas à condamner Maurras aux oubliettes de l’histoire, mais il n’y a pas non plus à en faire une icône vénérable où mirer avec autosuffisance et illusion la certitude « d’avoir raison ». La vraie tradition est critique et c’est la démarche de Maurras tout autant que ses idées qui doivent inspirer la réflexion : répondre jour après jour aux problèmes qui se posent en France, sans esprit de système, mais avec la volonté de défendre les libertés. À ce titre, le royalisme exige un détachement de Maurras parce que Maurras ne constitue pas tout le royalisme. Il a su restaurer l’idée monarchique en la rendant conforme aux aspirations et à la rationalité politique de son époque.
    Il a ainsi sauvé du naufrage la vieille idée royale, toute prête à se perdre en dévotion bigote aux cendres de Louis XVII et au Sacré Cœur « espoir et salut de la France » ; le royalisme risquait de devenir alors autre chose qu’une politique pour disparaître dans les sables d’un fidéisme malsain ou dans l’attente nihiliste d’un « miracle ».
    Au-delà du contenu de l’œuvre de Maurras, dont la pertinence est à réévaluer à chaque moment si on veut en faire un usage politique – pour ne pas tomber dans les vains slogans et perdre de vue le réel – il faut s’attacher à sa démarche d’élaboration d’une politique qui réponde aux enjeux du moment et sauver le royalisme du fossé. Aujourd’hui tout est à refaire ; trop souvent, les royalistes se désintéressent de la politique au nom de l’idée royale dont ils sont imbus et qu’ils préfèrent contempler plutôt qu’examiner le difficile problème du trou de la Sécu. Sous condition d’inventaire et de réinterprétation, l’œuvre de Maurras peut susciter un renouveau, susciter l’innovation et la réflexion politique.