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marsala - Page 2

  • N°22 - Extraits d'articles

    Chapeau du dossier
    Les élections présidentielles contre la démocratie


    Dominique Wolton avait montré comment les élections étaient désormais rentrées dans une dialectique à 3 acteurs (hommes politiques / journalistes / opinion publique via les sondages). Avec cette nouvelle échéance, alors que le Parti socialiste lui-même s’est fait débordé par la construction médiatique “Ségolène Royal”, où en sommes-nous ? Quel avenir pour nos institutions sous la dictature du « système médiatico-sondagier » (Emmanuel Todd) ?

     
     
     
     
    Paradoxe de l’élection ou comment une procédure anti-démocratique est devenue synonyme de démocratie

    Depuis quelques années, quelques décennies peut-être, l’élection est devenue le symbole, le synonyme et l’unique procédure « démocratique » d’un système qui se présente pourtant comme la forme la plus achevée de démocratie. L’unique procédure, dans la mesure où tous les autres moyens de donner la parole au peuple, comme le référendum ou le mandat impératif, semblent désormais plus ou moins discrédités.
    Le référendum, par exemple, constitue le moyen par excellence de permettre au peuple, prétendu souverain, de se prononcer directement sur une loi ou sur une révision constitutionnelle. Or, malgré un certain retour en grâce au début des années 2000, il semble que le coup de tonnerre politique du 29 mai 2005 lui ait porté un coup fatal : il est vrai que ce résultat inimaginable a rappelé aux gouvernants que leur Maître, le peuple, pouvait parfois désobéir à leurs ordres et à leurs prévisions. Le referendum n’est jamais sans risques.
    Les conséquences de ce cataclysme sont de plusieurs ordres. D’une part (...)

    E. Marsala



    Un magicien nommé Marcel

    Marcel Aymé est mort il y a 40 ans, le 12 octobre 1967. Retour sur celui dont Philippe Muray écrivait dans nos colonnes qu’il restait le seul écrivain à admirer et « aussi le seul qui éclaire à mes yeux de manière précise et informée l’humanité contemporaine ».

    «C’est chose rare qu’un auteur qui cherche à se faire plus petit que son œuvre » s’étonnait  Antoine Blondin dans les années 1950 à propos de son ami le grand Marcel Aymé, le « créateur d’un merveilleux humain ». Cette réflexion explique mieux qu’aujourd’hui le quarantième anniversaire de sa mort ne soit pas même marqué. Car rien ne semble changé au paradoxe. Les contes du chat perché et Le passe-muraille sont lus dans les classes, ses romans et ses nouvelles ont les honneurs de la Pléiade. Même si, provisoirement, le théâtre semble un peu oublié, Uranus et d’autres œuvres sont, et seront adaptées au cinéma. Mais l’on s’interdit de donner à leur auteur la place qui lui revient dans l’histoire de la littérature. Marcel Aymé est comme poussé hors de son œuvre, qui semble désormais vivre et s’imposer par sa propre puissance. Cet éloge par défaut est sans doute le plus grand qui se puisse faire à un auteur, mais (...)

    Antoine Foncin




    Fabrice Hadjadj à la vie à la mort

    Comment écrire sur le livre de Fabrice Hadjadj, Réussir sa mort, déjà ancien et reconnu, comment faire le portrait d’un écrivain avec lequel on partage tant, à commencer par l’amitié ? Tel est le casse-tête auquel je me trouve maintenant confronté et que je ne saurais résoudre que par la simplicité : en exposant au lecteur ce que j’aime chez Fabrice Hadjadj. Simplement.


    Après une poignée de livres incandescents, une pièce déjà culte sur saint François-Xavier, Hadjadj a conquis un large public par ce livre dont le titre est provocateur, mais dont le contenu est plus provocant encore. À l’époque où fleurissent, dans l’hypermarché de la culture prétendument démocratisée, techniques de développement personnel et de maîtrise de soi et kits de construction de sa propre religion, ce livre vient rappeler deux choses essentielles : celui qui veut réussir sa vie la perd ; celui qui veut être sauvé ne peut passer que par la mort et la résurrection dans le Christ. J’avoue que si ce livre me touche comme il a touché des milliers de Français, c’est parce qu’il construit (...)

    François Huguenin





    Portrait de Guy Dupré en Janus, maître du temps et de la guerre

    De l’auteur des Fiancées et du Grand coucher, les plus grands ont entonné le dithyrambe mérité. Albert-Marie Schmidt l’a peint en cruel renard du Japon prenant les fillettes aux pièges de leur propres désirs, Béguin a salué l’ensorceleur, débusqué la singularité absolue de ses ressources verbales, Rinaldi a marqué l’oxymore apparent : « L’Aigle de Meaux survole avec majesté les charniers de Verdun, court se percher sur l’Arc de Triomphe pour y lâcher sa fiente qui éclabousse les gloires officielles », Nadeau fait allégeance à l’initié, l’historien l’écrivain (trois en un), Vandromme, autrement, revient à l’initié « Dupré écrit en code pour redécouvrir le chemin des secrets perdus », l’inscrit « barrésien de la grande lignée » : aux côtés de Montherlant, Drieu et Aragon, en terre de Haute Solitude où vont ceux qui savent « perdu le secret qui permet de lier la douceur à l’honneur de vivre » (1).
    Trilogie
    Un demi siècle plus tard, la trilogie romanesque reparaît, à peine augmentée, seul le dernier volet est récent, 1991. Cinquante ans après, noyés sous un déluge de mots et de livres inutiles, nous l’admirons d’avoir en trois livres donné à entendre ce qu’en cinquante, beaucoup de ses contemporains ne surent.
    Dès le premier roman, le corpus s’est fait œuvre, avant que la mort ne le ferme. Le génie a frappé, exigeant qu’à sa suite, Dupré chemine (...)

    Sarah Vajda


    + Guy Dupré : Les fiancées sont froides, Le grand coucher,
    Les mamantes, romans, éditions du Rocher, 2006.

    1. Respectivement en 1953, 1954, 1961, 1986 et 1991.

  • N°18 - Territoires, frontières, autorité

    Par E. Marsala
     
    On a beaucoup glosé sur la notion d’utopie, et sur sa dénomination : u-topos, le non lieu, le lieu qu’il n’est pas. Pourtant, l’Utopie telle que la conçoit son inventeur, Thomas More, si elle n’existe point, se trouve bien quelque part. Elle s’inscrit même dans l’espace avec une force, une intensité, une netteté inhabituelles en ce début du xvie siècle. Ainsi, le premier geste d’Utopus, son fondateur mythique, fut-il d’établir des frontières infranchissables avec le monde extérieur en faisant creuser l’isthme qui rattachait la République parfaite au reste du monde. Indice supplémentaire, les premières éditions de l’Utopie comportent toutes, en frontispice, une carte de cet État imaginaire, dont le plus grand géographe de la Renaissance, Ortélius, dressera lui-même la carte vers 1590. Même lorsqu’il n’existe pas, un État ne se conçoit qu’inscrit fermement dans l’espace, défini par son territoire, à l’intérieur de frontières qui délimitent l’ordre juridique et politique qu’il domine.
    Cette relation n’est d’ailleurs pas unilatérale. Ainsi, la définition que les dictionnaires usuels proposent pour le mot « territoire », est celle d’une « étendue de pays sur laquelle s’exerce une autorité ». Le territoire est donc institué par l’autorité qui s’y exerce, et à l’inverse, c’est parce qu’elle porte sur un territoire (qu’elle définit en tant que tel), et parce qu’elle s’y exerce d’une certaine manière (de façon exclusive, dominante et incontestée) que  l’autorité acquiert un caractère politique. L’essence du politique, affirmait Schmitt, se ramène en dernière analyse à la distinction ami/ennemi : une distinction à laquelle le territoire permet de donner une consistance, en la faisant coïncider avec l’opposition intérieur/extérieur. L’ami, c’est celui qui est ici, dans le territoire, à l’intérieur des frontières; l’ennemi potentiel, c’est celui qui est dehors, à l’extérieur, sur le territoire d’une Cité dont il dépend.
    Cette approche théorique correspond très exactement à l’histoire de la genèse de l’État en France. Entre la fin du xve et le milieu du xvie siècle, la diffusion d’un mot « État » dans le discours officiel, la construction de la notion de souveraineté, l’affirmation de l’idée d’« étranger au Royaume » (et non plus, d’étranger à la seigneurie) sont contemporaines de l’établissement, par l’humaniste Oronce Fine, de la première carte de France, sur ordre de François 1er. On achève alors de passer du « proto-État » médiéval, qui n’avait qu’une emprise imparfaite et imprécise sur un territoire qui n’était qu’indirectement le sien, à l’État moderne, qui appréhende ses sujets sur une base territoriale, et non plus (principalement) personnelle.
    En même temps que l’espace, enclôt désormais dans des frontières, le politique subit ainsi une mutation fondamentale. Depuis cette époque, son existence n’est plus dissociable de la maîtrise d’un territoire déterminé, au point de se confondre avec lui - ainsi, lorsqu’en parlant de l’État, on le désigne du nom du territoire, du pays qu’il régit…
    Le problème inédit auquel on se trouve confronté depuis quelques années est à la fois celui d’une disparition des frontières, et d’un mitage du territoire, deux phénomènes convergents qui laissent craindre un étiolement du politique.
    L’expression « mitage » désigne l’apparition de « trous » dans une zone quelconque : et en l’espèce, dans le territoire, en tant que celui-ci se trouve soumis à l’autorité publique, et où il délimite l’obéissance effective à ses règles. Ce mitage est parfois relatif (on pense ainsi à ces villages peuplés majoritairement d’habitants n’ayant pas la nationalité française, ou ces bandes côtières appartenant en continu à des étrangers) ; mais il s’avère parfois beaucoup plus profond : des « zones de non droit », où se développe en toute illégalité une économie souterraine florissante aux banlieues explosives qui ceinturent les grands centres urbains, c’est un nombre croissant (on donne le chiffre de 752) de lieux qui semblent échapper, de façon temporaire ou permanente, à l’autorité de l’État. Des lieux dont on ne sait plus quoi faire, hésitant entre une répression sporadique et leur abandon à des instances communautaires ou associatives jugées plus aptes à se saisir des problèmes locaux et à y faire régner un ordre public minimum. Par ailleurs, ce territoire gruyère voit s’effacer ses frontières extérieures, dans le cadre de l’union européenne d’abord, et au-delà, dans celui de la mondialisation, celle des échanges, des informations, du travail ou des voyages.
    Le territoire du politique tel que nous le connaissions depuis la Renaissance était à la fois homogène à l’intérieur, et clairement distinct de l’extérieur. Le territoire de la postmodernité tend au contraire à n’être plus ni l’un, ni l’autre. Il est de plus en plus difficile à délimiter, à concevoir, et avec lui, l’autorité politique dont il est le support nécessaire.
    Celle-ci, qui implique l’usage de la contrainte, ne peut s’exercer de façon satisfaisante, à la fois efficace et mesurée, que sur des personnes suffisamment fixées dans un lieu déterminé - d’où, la criminalisation ancienne du vagabondage, et la méfiance traditionnelle à l’égard des nomades. Elle devient beaucoup plus aléatoire lorsque l’ancrage territorial s’affaiblit, et que le territoire lui-même perd son homogénéité. Et l’on retrouve ici, vu sous un angle particulier, l’une des grandes mutations de notre temps : le dépérissement du politique, qui tient à la fois à son moindre pouvoir, à sa moindre légitimité, et au sentiment d’éloignement, sinon d’aliénation qu’il suscite chez les citoyens. Le sentiment que le pouvoir devient étranger en même temps que l’on devient étranger au pouvoir, le sentiment qu’on ne le connaît plus, qu’il ne nous comprend plus, qu’il ne parle plus notre langue. Le pouvoir s’efface avec la délimitation du territoire, lequel tend ainsi à perdre son statut, à n’être plus qu’un espace quelconque, ouvert à tous les vents, et non plus ce sur quoi se fondait l’identité des personnes, ce pays dont la sauvegarde justifiait l’obéissance des sujets.
    Ayant commencé avec l’Utopie de Thomas More, on est tenté de conclure avec celles de ses disciples, qui imaginaient, pour le meilleur ou pour le pire, l’apparition d’un pouvoir mondial s’exerçant de façon unifiée sur l’ensemble de la planète. Or, c’est la solution inverse qui paraît se profiler, avec l’émergence de pouvoirs multiples, innombrables, informes et dépourvus d’ancrage territorial. Celle de pouvoirs « anonymes et vagabonds », de pouvoirs essentiellement non politiques, indifférents au « bien commun » - puisqu’il n’y a de communauté que sur un territoire, et qu’en outre, ce pouvoir n’aurait rien de commun avec elle. Car du territoire ne dépend pas seulement l’existence d’une autorité politique : celui-ci est également l’une des conditions de sa justice et de sa légitimité. Echappant à toute sanction, étranger à toute morale, libre de toute tradition, récusant toute limite, un pouvoir qui se trouve partout et qui n’est nulle part serait forcément despotique.
     
     
    E. Marsala