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N°12 - Dossier : La démocratie contre le vote

« L’habitude, notait récemment René Rémond, nous conduit à confondre vote et élections, et à identifier celles-ci avec la démocratie. Or le vote […] est un fait de société, de tous les temps et sous les régimes les plus divers ». C’est pour cela qu’il entretient des rapports aussi ambigus avec la démocratie.

Pourquoi ? Parce qu’en démocratie, le vote est un intrus. C’est la très aristocratique Venise qui a inventé les procédures modernes du vote, c’est par le vote qu’étaient choisis les premiers rois de France et que continuent d’être élus les papes, derniers monarques absolus d’Occident. Or, si ce mode de désignation était pratiqué dans ces systèmes, c’était pour choisir le meilleur. Ce qui, précisément, va à l’encontre du principe cardinal de la démocratie, qui exige qu’on ne prenne pour représentant que quelqu’un de semblable à ceux qu’il dirige : quelqu’un qui sera leur égal, et non leur supérieur, puisque le fait d’être gouverné par des supérieurs est justement la définition de l’aristocratie. C’est d’ailleurs pour cela que les premières démocraties, celles de l’Antiquité, furent si longtemps favorables au tirage au sort.

En définitive, c’est faute de mieux, le tirage au sort n’étant plus praticable dans des sociétés étendues, que les démocraties modernes s’en sont remises au vote : comme à un mal nécessaire.

Malheureusement, ce mal lui-même s’avère de plus en plus difficile à mettre en œuvre. Pour le vote, l’heure est mauvaise, comme le note Michel Offerlé, qui constate « la routinisation du suffrage et l’apparition […] d’une forme de dégoût, de distance, de scepticisme ». Les causes de cet éloignement ne  sont pas mystérieuses : elles tiennent au sentiment croissant de dépossession, d’inutilité du vote. À la conviction, aussi, que les résultats électoraux dépendent moins des électeurs, que de petits arrangements entre (faux) ennemis. De là, les phénomènes récurrents que les commentateurs affolés détaillent à chaque nouveau scrutin : vote extrême, dissidence, abstention, vers dans le fruit, mais si énormes et si gloutons qu’ils risquent bien d’engloutir le fruit tout entier. Or qu’est-ce qu’un fruit auquel il ne reste plus ni chair, ni jus, ni peau, ni pépins ? Et qu’est-ce qu’une démocratie où l’on ne vote plus, sinon pour les ennemis au régime, et où, décidément, on laisse les puissants décider, pour soi-même et pour les autres ?

 

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