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  • N°3 - La poudrière afhgane

    Entretien avec Christophe de Ponfilly
    Christophe de Ponfilly est auteur-réalisateur et écrivain. De nombreux prix ont récompensé son œuvre multiple, en particulier les deux films cités ci-dessus.

    Comment réagissez-vous aux frappes américaines sur l’Afghanistan ?  

    Il y a plusieurs reflexions sur les frappes américaines. D’abord, je trouve ces frappes très disproportionnées par rapport à l’objectif. À partir du moment où les Taliban ne sont plus soutenus par l’armée pakistanaise – ce que demandait Massoud quand il était venu à Paris pour reprendre le dessus sur les Taliban – il ne reste plus en Afganhistan que quelques milices arabes et qui sont allées se cacher après l’attentat du 11 septembre. Les Américains frappent sur des cibles d’une faible efficacité. La thèse reprise à la télévision d’une sécurité aérienne désormais garantie par les Américains n’est pas sérieuse : lorsque Massoud a perdu la ville de Taluqan en 1999, c’était l’aviation pakistanaise qui avait bombardé : l’aviation des Taliban ne comptait que 4 ou 5 vieux migs. Leurs missiles sont de vieux lots de Stinger donnés aux fondamentalistes par la CIA ou des missiles soviétiques. Le seul danger des Taliban, c’est l’infanterie. Les frappes ont été réalisées pour rassurer l’opinion publique américaine.

    D’après vous quelles conséquences ces frappes vont-elles avoir ?

    Je ne sais pas. Les gens de l’Alliance du Nord attendent que soit enclenché un processus politique : le choix d’un gouvernement avant d’aller à Kaboul. Il y a des villes qui poseront des problèmes pour être libérées. Mazar-e-Charif est une ville où il y a beaucoup de Taliban. Encore il y a quinze jours, il y avait beaucoup d’hommes armés dans Mazar. Cela dit, certains Taliban rallient l’Alliance du nord en masse...

    Au sujet de l’Alliance du Nord, l’unité a-t-elle été préservée après Massoud ?

    L’Alliance du Nord est complexe. C’est un ensemble composite dans lequel se trouve à la fois les gens du Panjhsir : la succession de Massoud(1) y est assurée par trois personnes : le docteur Abdullah(2), M. Canoni et le général Faïm qui sont, chacun dans son domaine, des personnes compétentes. Ensuite quand on sort du Panjhsir et de la zone Tadjik, on se trouve avec le général Dostom qui est un Ouzbek. Il peut réserver de mauvaises surprises : c’était le chef de la milice communiste ouzbek à la solde des gouvernements communistes installés à Kaboul, surtout pendant toute la période soviétique : c’est un personnage fragile qui a déjà trahi.
    Ensuite il y a les Hazaras chiites qui vont revendiquer de toute façon une place dans le gouvernement et puis il y a ceux qui organise la guérilla urbaine à Herat. Toutes ces personnes composent l’Alliance du Nord. Il y a aussi des groupes Pachtouns qui avaient déjà pris contact avec Massoud depuis longtemps

    Et le roi dans tout çà ?

    Le roi était déjà un processus enclenché par Massoud. Il pensait que c’était une personne qui conservait une autorité. Les Afghans sont d’ailleurs très respectueux des personnes âgées. Dès lors, le roi peut venir comme une sorte de personne respectable et surtout non compromise dans la guerre puisqu’il en a été éloigné depuis 1973. Il aurait vraiment la lattitude de pouvoir apaiser.

    Quelle est la position des Américains sur cette solution ?

    Ils jouent cette carte. Après les intérêts économiques dont le fameux gazoduc (entre le Turkmenistan et le Pakistan et en passant par l’Afghanistan) qui a fait couler tant d’encre au moment ou Delta avait donné de l’argent aux Taliban en 1995 pour le construire

    Pour la France plus particulièrement, vous dénoncez dans un autre entretien que les députés se servent de la cause afghane comme d’un faire-valoir. Qu’en est-il aussi de l’intelligentsia française ?

    Je pense qu’en France on a un pays très particulier par rapport à l’Afghanistan, très en pointe. C’est nié par les Américains qui nient aussi l’existence de Massoud : leurs médias parlent très peu de Massoud comme ils ont très peu parlé de l’attentat contre Massoud, même si, pour moi, il vaudrait mieux parler des attentats des 9 et 11 septembre : c’est la même technique de l’avion kamikaze. Mais Massoud a été ignoré trop longtemps pour au moins lui rendre grâce au moment de sa mort. Après je pense que certains intellectuels français ont été extrêmement présents dans le soutien à l’Afghanistan dès le début des années quatre-vingt ; il y a eu plus d’un millier de Français qui sont allés en Afghanistan(3) : ils ont investi des tas de domaines réservés : certains ont faits de l’espionnage, d’autres ont fait du journalisme, entraîné les Afghans, de la médecine de guerre : il y a eu un mouvement francophone très fort et une vraie complicité entre Afghans et Français : c’est une réalité.
    Après, nos politiques n’ont pratiquement rien fait pour aider Massoud, bien que la DGSE fasse courir le bruit qu’elle aide Massoud depuis le début. Il y a eu certes une petite aide, mais rien d’exagéré. Lorsque Massoud est venu à Paris, il n’a pratiquement pas été reçu : à part le général Morillon qui a tout fait pour que Massoud soit reçu au Parlement européen par Nicole Fontaine. Sinon ni Jospin, ni Chirac ne l’ont reçu. Seulement une visite non officielle chez Védrine. J’ai trouvé que c’était mal traiter un homme qui avait pris une dimension extraordinaire.

    Pensez-vous que l’attentat contre  Massoud ait eu le résultat escompté par les terroristes ?

    Je ne sais pas exactement. Je pense que ça va amener une plus grande opacité sur l’Afghanistan. Massoud va manquer cruellement aujourd’hui. Il y a le jeu très dangereux des Pakistanais qui ont toujours joué un double jeu.

    Est-ce qu’il y a un véritable décalage entre la population et le gouvernement ?

    Ce n’est pas seulement la population, ce sont aussi les services secrets d’armée : le conflit territorial entre l’Afghanistan et le Pakistan est toujours oublié. Il s’agit de la restitution de la zone Tribale (la ligne Mortimer-Durand créée par les Anglais) mise sous le contrôle du Pakistan pendant cent ans et qui devait être restituée dans les années quatre-vingt-dix.
    Et il y a cet autre problème que les militaires pakistanais doivent garantir leur profondeur stratégique par rapport aux tensions qu’ils ont avec l’Inde : ils veulent toujours contrôler la situation en Afghanistan.


    Propos recueillis le 20 octobre 2001 par Michel Collin


    1 : Sur le Massoud, voir le film réalisé par Christophe de Ponfilly : Massoud l’Afghan (édition du Félin/Arte – 1998).
    2 : Assassiné le 26 octobre.
    3 : Vies clandestines : nos vies afghanes