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  • N°14 - ADG, c’était un roman noir

    Par Serge Degrim
     
    Au lendemain du suicide de Bernard Loiseau, comme prise d’une frénésie gustative, la France entière voulut acquérir ses livres de recettes. Plus récemment, les éditeurs eurent bien du mal à fournir les étals des librairies en ouvrages de Françoise Sagan, deux mois encore après le décès de celle-ci.
    Est-ce par un excès de morbidité, par curiosité, ou simplement par crainte de se trouver en reste face à une information relayée par tous les médias, que nos contemporains se retrouvent à vouloir posséder les œuvres quasi complètes des auteurs fraîchement trépassés ? La grandeur consécutive d’Allah aurait été la meilleure des explications donnée au phénomène par Alexandre Vialatte - mort lui aussi.
    Le décès du romancier ADG, survenu le lundi 1er novembre des suites d’un cancer (dont il disait que c’était moins une maladie longue et douloureuse qu’une maladie chiante) suscitera-t-il le même engouement auprès des lecteurs ? Malheureusement, on peut en douter, le roman policier étant toujours considéré comme un genre littéraire mineur - et les engagements politiques d’ADG lui ont toujours fermé beaucoup de portes et ont réservé à ses romans une place plus belle sur les échoppes des quais de Seine que sur les rayonnages des librairies.
    Reconnaissons en tout cas à A.D.G. le sens de la sortie : on célébrera désormais aussi Adégé mort le jour de la Tous-Saints.
     
    Une écriture du milieu

    De son vrai nom Alain Fournier, il avait pris pour pseudonyme Alain Dreux Galloux sous lequel il publia à compte d’auteur des recueils de poésie. Il en retiendra les trois initiales lors de la parution de son premier polar La divine surprise (Gallimard, 1971), nourri des confidences des compagnons de Jo Attia, truand notoire. Le monde des truands parisiens et son fonctionnement, ses règles, inspirent ADG : il n’écrira plus désormais que des romans noirs. Sur la vingtaine de titres publiés entre 1971 et 1988, ceux aussi évocateurs que Notre frère qui êtes odieux (Gallimard, 1974), Pour venger pépère (Gallimard, 1981) ou Les billets nickelés (Gallimard, 1988) nous donnent le ton d’une œuvre entre Blondin, Simonin et Malet.
     
    Reconnaissance des pairs

    Jean-Patrick Manchette, son contemporain, avec lequel il contribuera au renouveau du polar français (L’Affaire N’Gustro, premier roman de Manchette, sort à quelques semaines d’intervalle de celui d’ADG) lui consacrera plusieurs articles dans les chroniques sur le roman policier qu’il tient dans Charlie mensuel ou dans la revue Polar. À propos de Pour venger pépère, il écrit : « Voilà un roman très cohérent, très abouti, excellent. Au fait, même les calembours ont leur place dans sa cohérence ». Il faut en effet oser ponctuer ses chapitres de phrases telles que « Bravo, souris-je à l’amateur de rats », ou encore « Tu es allée à Thouars ? » Glissées dans une conversation, elles fleurent bon l’oncle un peu farceur de province, mais dans la bouche des protagonistes de ses romans, entrecoupées de graphies « francistes » comme ouisquie, souiteur, pététés ou djine, et copieusement arrosées d’un argot tout faubourien, elles s’imbriquent parfaitement dans des intrigues d’une grande noirceur, menées par des personnages chez qui le manichéisme tient peu de place. À truand, truand et demi, quand on ne les retrouve pas en lutte contre le changement, tout simplement. Car chez ses personnages de caves, macs, losers, même dans le crime, on aime ce qui se maintient contre les dégradations du modernisme, l’esprit du petit village gallo-berrichon, et qu’importe si c’est dans le picrate qu’Obélix est tombé quand il était bébé.
     
    Affinités littéraires

    « Depuis l’histoire de ce vieux Samson pourri avec sa gueule de raie et sa conne la mère Dalila qui profite de son sommeil pour lui chouraver son Colt ou quelque chose comme ça […] depuis donc l’histoire de ce vieux cave pourri, Simon craignait de ne pas pouvoir être totalement en confiance avec les grognasses… » (Notre frère qui êtes odieux). Si il y ajoute souvent une note toute personnelle, A.D.G connaît bien ses classiques et y fait souvent référence.
    Les allusions à l’Ancien Testament
    (« - Qui a tué ma femme, Mario ? - C’est Geoffroy. - Qui a tué les deux cloches ?
    - C’est Geoffroy. - Qui a tué Abel ? - C’est Geoffroy. - Tu t’es coupé, je lui dis en lui envoyant une gifle. C’est Caïn qui a tué Abel. ») ou à la mythologie émaillent les dialogues, y croisent des auteurs contemporains dans un curieux mélange des genres. De Carter Brown - «… dit-il avec le même air de ravissement surpris qui doit se peindre sur le visage de Carter Brown quand il se découvre une phrase cohérente. » - à Manchette lui-même, aucun de ses contemporains en noir n’est épargné, de même pour d’autres auteurs de facture plus « classique » que l’on retrouve moqués au fil des ses romans, tels Sagan et Sollers.
    En revanche, l’admiration qu’il avait pour Céline jalonne toute son œuvre. Références dans les titres mêmes, comme Cradoque’s band ( Gallimard, 1973), ou combinaisons de coffre fort qu’il faudrait forcer : B.A.R.D.1.9.3.2, (Bardamu, héros du Voyage, 1932, date de sa publication), voire d’autres détails : que ce soit un Michelin ou un plan Leconte, il est vain de rechercher la rue Albert Paraz (ami de Céline) à Paris, où loge pourtant un de ses personnages.
     
    La mauvaise réputation

    Alors qu’il lui reconnaît avoir su maintenir et renouveler, au milieu d’un néopolar souvent envahi par le gauchisme, la tradition d’Albert Simonin et de San Antonio, Manchette avoue lui-même : « L’aversion que j’ai pour les opinions d’A.D.G. m’empêchera toujours, j’y compte bien, de tirer de ses romans un plaisir entier ». Dès 1973, parallèlement aux romans noirs, il devient reporter pour le journal Minute et y restera huit ans. Il se définit volontiers lui-même comme un « réac pur et dur » et s’évertue à annoncer les pires catastrophes avec la meilleure humeur du monde, le même ton, les mêmes calembours dont il use dans ses polars et qui se retrouvent dans ses chroniques, tout spécialement celles qu’il écrira pour Rivarol, à la suite de gens talentueux, comme Robert Poulet (tiens, un ami de Céline !). En désaccord avec la quasi-totalité de la rédaction de Minute, il décide de quitter Paris et part s’installer en Nouvelle-Calédonie en 1981 où, penchant pour la chose politique et la polémique oblige, il crée Combat Calédonien, un hebdomadaire anti-indépendantiste. Ce long exil auquel il prit goût va durer une dizaine d’années et certains de ses personnages vont le suivre dans son périple. On retrouve le journaliste Machin (nommé ainsi car son véritable nom de famille aux consonances slaves est imprononçable) et son acolyte l’avocat Delcroix dans trois polars qui ont pour cadre Nouméa et il entame un projet de saga de la Nouvelle-Calédonie, Le Grand Sud, dont seul le premier tome verra le jour.
    À son retour en métropole, en 1991, il signe ses premières chroniques dans Rivarol et en devient le secrétaire général de la rédaction. Mais dès l’été 1999, la maladie lui impose de lourds traitements, suivis de longues périodes de repos qui l’empêchent de faire paraître ses chroniques dans l’hebdomadaire de façon régulière.
    Après plus de dix ans d’absence, A.D.G se décide pourtant à renouer avec le polar. Son dernier roman, Kangouroad movie (Gallimard 2003) le sort de dix années de purgatoire (et sans fiction) puisque ce western délirant en plein désert australien a été salué autant par la critique que par les lecteurs.
    Grâce aux progrès de la communication, les grands hommes de nos jours “disparaissent”, “nous quittent” ou nous “disent au revoir”. Pourtant, la presse qui s’était donné la peine d’écrire quelques lignes sur lui nous a sans ambages annoncé sa mort. ADG n’ira donc probablement pas au Panthéon et je crois qu’il en est bien content.
     
     
    Serge Degrim