Devant l’affadissement du vocabulaire politique, Léo strauss préconisait le retour aux vocables issus des grands textes grecs, ceux d’un Aristote et d’un Xénophon par exemple. Les Épées peuvent bien, à leur façon, servir ce bel objet. Prenons le mot “trahison”. Il retentit tout d’un coup, renvoit à l’image du traître lui-même, à l’infamie et au châtiment qui le va bientôt frapper. Il fut un temps où la chasse aux sorcières équivalait à la chasse au traître ; où trahir sa classe, son Parti entraînait une mort certaine. L’ombre des traîtres hante littéralement la littérature, elle envahit le théâtre de Shakespeare, où le monde paraît se renverser plusieurs fois. Aujourd’hui, au contraire, l’usage de ce mot tend à se perdre. Redoutable, il relève surtout de la polémique, écrasé qu’il est par l’interchangeabilité des valeurs, la subjectivité des points de vue et l’indécision des situations.
Réfléchir sur la trahison conduit malgré tout à s’interroger sur l’essence même du lien politique. Dans cette notion se révèle en effet la dimension tragique de l’existence des hommes ; pour Boutang, elle signifie « qu’il est d’essence originelle de l’homme d’être engagé à sa communauté réelle, et de subordonner toute opinion et tout système de valeurs, si bien fondés qu’ils soient, lorsqu’il s’agit de cette communauté ». Une telle réflexion paraît d’autant plus nécessaire lorsqu’une camarilla de délateurs prétend chasser les nouveaux traîtres et s’efforce de banaliser les ostracismes, selon l’antique habitude démocratique.