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  • N°18 - Suite (et fin ?) du Non à la Constitution européenne

    Par Jean-Baptiste Barthélémy
     
    Plusieurs mois se sont écoulés depuis les Non français et néerlandais et les prévisions des européistes ne se sont pas réalisées.
     
    D’un côté, les fédéralistes expliquaient sur un ton proprement apocalyptique, digne des plus catastrophiques prophéties d’un Paco Rabanne, qu’il n’y avait aucun « Plan B » et, par conséquent, qu’un refus de la Constitution signerait inévitablement la fin de la construction européenne. C’était, finalement, la « Constitution ou la mort ». À l’inverse, la majorité des partisans du Non soutenaient qu’une victoire du Non conduirait nécessairement à une renégociation du projet de traité et, à plus ou moins long terme, à l’élaboration d’un texte revu et corrigé en fonction des préoccupations manifestées à l’occasion des référendums.
    S’il est exact que l’état de la construction européenne est bien peu reluisant, il est faux, et malhonnête, d’imputer la responsabilité de cette situation à la victoire des Non, les résultats des référendums apparaissant d’abord comme la conséquence d’une crise préexistante que comme la cause de la déshérence actuelle du projet européen. Et, en vérité, le Non à la Constitution européenne n’a en rien arrêté le processus mortifère dans lequel l’Europe s’enlise : le lancement officiel des négociations d’adhésion de la Turquie à l’Union européenne n’a-t-il pas eu lieu, comme prévu, en octobre dernier, et ce alors même que cette perspective avait très largement nourri les Non français et néerlandais ?
    Alors, que sont donc devenues les promesses des tenants du Non ? Qu’en est-il de la renégociation du projet de traité ?
     
    Un vrai respect des règles
     
    La proposition était logique mais d’une naïveté confondante. L’ouverture de cette renégociation supposait en effet que ceux-là même qui venaient de perdre la partie, les fédéralistes, respectent les règles du jeu démocratique. Or, bien que défaites dans les urnes, les élites européistes n’ont jamais sérieusement envisagé la moindre remise en cause du traité constitutionnel. À l’image d’un Jacques Chirac radicalement désavoué par le suffrage universel mais demeurant « droit dans ses bottes », les édiles de Bruxelles ont souverainement choisi d’ignorer la vox populi. D’où cette surprenante Déclaration des chefs d’État et de gouvernement sur la ratification du Traité établissant une Constitution pour l’Europe, texte publié à l’issue du Conseil européen des 16 et 17 juin 2005 : « Nous avons pris acte des résultats des référendums en France et aux Pays-Bas. Nous estimons que ces résultats ne remettent pas en cause l’attachement des citoyens à la construction européenne (…) Les développements récents ne remettent pas en cause la validité de la poursuite des processus de ratification. Nous sommes convenus que le calendrier de la ratification dans les différents États membres sera si nécessaire adapté à la lumière de ces développements et selon les circonstances dans ces États membres ».
    À la date du 29 mai 2005, un seul mot figure donc sur l’agenda européen : « Rien ». Tout juste admet-on, comme Margot Wallstrom, Vice-présidente de la Commission européenne chargée de la stratégie de communication et des relations institutionnelles, que « le rejet de la Constitution pour l’Europe par les électeurs français et néerlandais a indéniablement causé un sérieux retard au processus d’intégration européenne » (1) mais, en tout état de cause, il est clairement établi que « les aspirations dont il (le traité) était porteur - une Union plus démocratique, plus transparente et plus efficace - demeureront un référence importante ». Un « retard dans le processus d’intégration », mais surtout pas un coup d’arrêt comme l’espéraient pourtant les millions de Français et de Néerlandais qui, à trois jours d’intervalle, ont dit non à la Constitution européenne…
     
    Un dialogue constant
     
    Et puisque la mécanique infernale ne doit absolument pas s’arrêter de fonctionner jusqu’à l’adoption définitive, sous une forme ou sous une autre, du projet de traité, les brillants esprits ont prévu d’occuper la galerie en prévoyant l’ouverture d’une période de réflexion. La Déclaration des chefs d’État et de Gouvernement précitée précise à ce sujet : « Les citoyens ont (toutefois) exprimé des préoccupations et des inquiétudes dont il faut tenir compte. Il est donc nécessaire d’entreprendre une réflexion commune à cet égard. Cette période de réflexion sera mise à profit pour permettre un large débat dans chacun de nos pays associant tant les citoyens, la société civile, les partenaires sociaux, les parlements nationaux, que les partis politiques. Ce débat mobilisateur, qui est déjà en cours dans bon nombre d’États membres, doit être intensifié et élargi. Les institutions européennes devront également y apporter leur contribution ; un rôle particulier revient dans ce contexte à la Commission ».
    Comme si le débat démocratique intervenu en France à l’occasion de la campagne référendaire, débat qui se poursuit encore avec, en point de mire, l’élection présidentielle de 2007, n’était pas d’une qualité suffisante, l’Union européenne invite donc les États membres et les institutions communautaires à relancer le dialogue sur la construction européenne. Et, naturellement, c’est la Commission européenne qui, la première, s’est engouffrée dans la brèche ainsi ouverte…
    Le 13 octobre dernier, le Collège bruxellois a présenté sa Contribution à la période de réflexion (2), son fameux « Plan D comme Démocratie, Dialogue et Débat » - ce n’est là qu’un début, et on attend avec impatience le prochain Livre blanc « sur la stratégie de communication et la démocratie » (l’intitulé est à lui seul tout un programme…). Pas de Plan B, pas de renégociation du projet de traité, mais un Plan D visant à favoriser « un vaste débat sur les relations entre les institutions démocratiques de l’Union européenne et ses citoyens ». Bien évidemment, ce Plan D n’est qu’une vulgaire arnaque derrière laquelle on voit réapparaître les grosses ficelles de la Gouvernance démocratique (3) si chère à l’eurocratie européenne.
     
    Vers la participation de tous
     
    Ainsi, lorsque la Commission dresse le constat d’une crise de confiance entre le public et l’Union européenne, évoque-t-elle les cinglants résultats des référendums organisés au printemps ? Non, elle préfère de loin étayer son propos en citant les résultats d’une enquête réalisée par l’une de ses officines, Eurobaromètre, enquête indiquant certes un léger recul de la confiance, mais soulignant aussi que « l’appartenance à l’Union reste largement majoritaire ». Conclusion de la Commission, conclusion qui par définition constitue l’un des présupposés de la démarche à l’origine du Plan D : « Les gens ont besoin de sentir que l’Europe apporte une valeur ajoutée (…) L’émergence d’une Europe plus à l’écoute de ses citoyens (traduisez en langage courant d’une Europe avec plus de pouvoir) afin de pouvoir répondre à leur attente apparaît donc nécessaire ».
    Autre illustration du cynisme de la Commission : les publics ciblés par le Plan D. Si les interlocuteurs désignés sont nombreux, « les citoyens, la société civile, les partenaires sociaux, les parlements nationaux, les partis politiques », le document insiste aussi la nécessité de prendre en compte « des groupes cibles spécifiques qui n’ont pas été atteints durant les campagnes référendaires, comme les jeunes ou les minorités ». Plus loin, à propos de la participation aux élections européennes, la Commission revient à nouveau sur l’intérêt que présente le « vote des jeunes et des minorités ». Enfin, évoquant l’organisation de discussion de groupe dans le cadre de l’ouverture de son processus décisionnel, la Commission réitère son souhait « d’accorder une attention toute particulière aux opinions exprimées par les jeunes ». Au-delà du jeunisme qui semble contaminer la Commission, c’est bien une démarche de type communautariste que Bruxelles entend mettre en œuvre. Humiliées par le suffrage universel, les institutions communautaires misent désormais sur une autre forme de « participation citoyenne » qui consiste à segmenter le corps politique pour, ensuite, satisfaire, anonymement et discrètement, les intérêts particuliers de chaque groupe. Bien entendu, l’objectif recherché est clair : il s’agit, en procédant de la sorte, de démontrer aux « cibles » que leurs intérêts catégoriels transcendent leur appartenance politique, c’est-à-dire leur enracinement national. Qu’ils soient Français, Allemands ou Danois, les jeunes sont d’abord européens parce que leurs envies, leurs besoins et leur « culture » (très important la « culture » jeune…), sont identiques à Paris, Berlin ou Copenhague. De même un homosexuel, une lesbienne, un transsexuel vivant en Grande-Bretagne, en Espagne ou en Belgique, sont d’abord Européens puisque les discriminations dont ils ou elles sont victimes sont les mêmes à Londres, Madrid ou Bruxelles. Bien entendu, le raisonnement vaut également avec toutes les autres minorités qu’elles soient raciales, religieuses, etc.
    Enfin, dernier point qui mérite d’être relevé : la revendication, par la Commission de son rôle de maître d’œuvre de la propagande européiste. « La Commission collaborera avec les gouvernements nationaux à l’organisation et au financement d’événements de nature à favoriser le débat. Ces opinions devraient couvrir tout le spectre des opinions politiques ». « La Commission, peut-on lire plus loin, s’emploiera à stimuler le débat au niveau européen (…) L’initiative de la Commission vise à faire connaître la valeur ajoutée offerte par l’Union européenne ». Et pour ce faire, Bruxelles envisage, parmi bien d’autres moyens, de solliciter « des personnalités nationales ou locales du monde de la culture, des affaires, des sports ou d’autres domaines intéressants certains public cibles. Ces “ambassadeurs de la bonne volonté européenne” pourraient prendre part, dans chaque État membre, à des manifestations telles que des meetings, des ateliers de travail, etc. ». Rien ne nous sera donc épargné, pas même le débauchage de « leaders d’opinion » chargés de dispenser la bonne parole fédéraliste. On imagine déjà Laurie chantant « l’européiste attitude » dans les collèges de nos banlieues en flammes, et les Village People, enveloppés dans le drapeau bleu étoilé, se déhanchant fébrilement sur les trottoirs du Marais…
    Le Plan D dont on nous parle aujourd’hui, c’est évidemment un Plan D comme démagogie et duperie, un plan qui n’a qu’un seul objet : refermer la parenthèse démocratique ouverte en France le 29 mai. Le Plan D, c’est le cocktail Molotov lancé sur les peuples européens par ces casseurs de la Démocratie que sont les commissaires de Bruxelles. Imperturbable, parfaitement étrangère aux fracas du monde, la construction européenne reprend ainsi son mouvement naturel, celui de la technocratie souveraine et du primat donné à l’effacement du fait national. Comme toujours, toujours à Bruxelles, tout change parce que rien ne change…
     

    Jean-Baptiste Barthélémy


     
    1. Margot Wallstrom, “Redéfinir les termes du débat sur l’Europe”, Le Figaro du 18 octobre 2005.
    2. Communication de la Commission au Conseil, au Parlement européen, au Comité économique et social européen et au Comité des régions, Contribution de la Commission à la période de réflexion et au-delà : Le Plan D comme Démocratie, Dialogue et Débat, COM(2005) 494 final, Bruxelles, le 13 octobre 2005.
    3. Voir nos articles dans les numéros 5 et 6 de cette revue.
     
     

  • N°16 - Au revoir

    Par Jean-Baptiste Barthélémy
     
    La scène est restée gravée dans toutes les mémoires : Valéry Giscard d’Estaing s’adresse aux Français qui, quelques jours auparavant, le 10 mai 1981, l’ont remercié. L’ancien président de la République achève son message par un solennel et pathétique « au revoir ». Puis, lentement, il se lève et quitte son bureau laissant, du moins le croit-il, un grand vide symbolisé par cette chaise sur laquelle se fixe la caméra.
    Dimanche 29 mai 2005, le président de la Convention était absent des plateaux. Dommage, car l’on aurait bien aimé voir le visage de l’Immortel à l’annonce des résultats du référendum. Que restait-il de l’arrogance affichée au Bundesrat le vendredi précédant la consultation ? Lui qui, sûr de son fait, prétendait que le oui à « sa » Constitution l’emporterait avec 53% des suffrages, quelle tête faisait-il en apprenant que le peuple français venait une nouvelle fois de lui signifier son congé ?
    À dire vrai, on n’osait pas vraiment y croire. Pas trop tôt du moins. Ne surtout pas précipiter les choses. Ne pas vendre la peau de la Constitution européenne avant de l’avoir tuée. Pourtant, on sentait bien que quelque chose se passait sur le terrain, que le non creusait son sillon, que cette fois-ci la victoire ne pouvait pas nous échapper. Mais toujours cette peur, ce temps qui n’en finit pas de s’écouler... Tels les spectateurs d’un match de football qui regardent fébrilement leur montre en espérant que l’avantage de leur équipe ne sera pas anéanti dans les toutes dernières minutes de la partie, nous avions tous les yeux fixés sur le 29 mai, à l’affût du dernier sondage indiquant un retournement de tendance, redoutant l’événement extérieur – le coup de poker d’un Pouvoir aux abois – de nature à influencer les indécis. Personne n’a oublié l’assaut lancé sur la grotte d’Ouvéa entre les deux tours de la présidentielle de 1988, l’intervention chirurgicale subie par François Mitterrand durant la campagne référendaire de Maastricht ou, plus récemment, l’arrestation d’Yvan Colonna quelques heures avant le référendum sur le statut de la Corse ? Mais Dieu merci, hormis l’indécente mise en scène autour de la « grosse fatigue » du chef de l’UMP, on nous épargna ces pratiques aussi minables que contre-productives. Et le Non l’emporta ! Et de quelle façon ! Une participation record (70% des électeurs inscrits !) pour un score sans appel : près de 55 % des suffrages exprimés en faveur du Non.
     
    Le Plan B de Bruxelles
     
    Le traité établissant une Constitution pour l’Europe a donc rejoint celui instituant une Communauté Européenne de Défense, texte rejeté en 1954 par l’Assemblée nationale à une époque où l’on trouvait encore des parlementaires animés de convictions politiques, dans les poussiéreuses archives de l’Union européenne. À Bruxelles, on tente cependant de faire comme si rien ne s’était produit. Inébranlable, la technostructure fédéraliste veut poursuivre le processus de ratification de la Constitution européenne afin (c’est l’objectif recherché) d’isoler la France pour malgré tout lui imposer, dans quelque temps, ce traité. C’est le plan B des européistes : contourner l’expression de la volonté populaire en marginalisant notre pays puis, in fine, en le plaçant « devant ses responsabilités » à l’occasion, par exemple, d’un nouveau vote, comme le suggérait Valéry Giscard d’Estaing à la veille du 29 mai. C’est « la stratégie de la fuite en avant qui vise à dédramatiser les non en les noyant dans la masse (…) », afin, « en bout de course », de « stigmatiser les bons et les mauvais élèves de l’Europe, ce qui risque de laisser la France au fond de la classe ».
    On le voit, le combat n’est évidemment pas fini : non seulement les nationaux vont être appelés à se rassembler et à se battre pour déjouer les manœuvres de la Commission, pour faire en sorte que le Non l’emporte partout ailleurs où des consultations populaires seront organisées, mais la France va devoir immédiatement exiger que sa parole soit entendue et respectée par tous. Et de ce point de vue, notre pays aurait bien besoin d’un chef qui, d’une part, rappelle clairement que, quoi qu’il arrive maintenant, le traité ne pourra pas entrer en vigueur tel quel et, d’autre part, qu’il ne saurait être question d’accepter des aménagements techniques qui, en réalité, consisteraient à mettre discrètement en œuvre les dispositions les plus litigieuses du défunt traité.
    La Constitution européenne est-elle la seule victime du référendum ? Pas tout à fait. Celui-ci a aussi causé de très sérieux dégâts au cœur de nos propres institutions. Ce n’est bien sûr pas le Non qui en est la cause ; celui-ci résonne au contraire comme un signe d’espoir, il montre que notre encéphalogramme institutionnel n’est pas totalement plat et que, si le rythme cardiaque de la Ve République est dramatiquement faible, l’espérance n’a pas totalement disparu. Pronostic vital réservé, pourrait-on dire pour résumer la situation. Très réservé même, tant il est vrai que la violence des coups portés par les partisans du Oui aux principes fondamentaux de la Ve République a provoqué de terribles lésions, aux conséquences sans doute irréversibles.
     
    Le référendum contesté
     
    Ainsi nous avons sans doute vécu dimanche 29 mai notre dernier référendum « européen ». En public, chacun salue volontiers l’ampleur et la rigueur du débat démocratique autour de la Constitution européenne (débat qui n’aurait évidemment jamais vu le jour sans consultation populaire) mais, en coulisse, l’enthousiasme des élites est vite apparu bien plus mesuré.
    Combien de fois a-t-on entendu nos brillants représentants s’exclamer – en off, bien sûr – « quelle connerie ce référendum » ! « Chirac serait passé par le Parlement, l’affaire aurait était pliée en deux jours » ! D’autres, qui ne font pas profession de solliciter le suffrage des électeurs, ont d’ailleurs éprouvé moins de complexes pour dire tout le mal qu’ils pensaient du choix de la ratification par la voie référendaire. Chez les « politiques », c’est le cas, notamment, de Simone Veil qui, en campagne pour le Oui (bien que membre du Conseil constitutionnel ?), affirmera à plusieurs reprises « regretter le choix du référendum sur un sujet aussi compliqué ». Et que dire de la « boutade » de Valéry Giscard d’Estaing pour qui « c’est une bonne idée d’avoir choisi le référendum, à condition que la réponse soit oui » ?
    C’est toutefois chez les observateurs que la remise en cause de la démocratie directe a été la plus franche. Pour Jérôme Jaffré, « l’argument béton en faveur du choix du référendum est qu’en démocratie on ne saurait reprocher au premier responsable politique de faire appel à la décision du peuple. On pourrait cependant, sur un tel dossier, discuter des mérites comparés de la démocratie directe et de la démocratie représentative ». La suggestion est assez claire : la Constitution européenne était un sujet évidemment trop complexe pour la soumettre au peuple. Un sondage sinon rien, pour Jérôme Jaffré…
    Dehors les gueux et les ignares ! À bas les Bidochons ! Voilà, en substance, ce qu’écrira pour sa part Jean-Marie Colombani dans l’un de ses consternants éditoriaux dont il partage manifestement le secret avec notre ami Alain Duhamel. Après son « Nous sommes tous des Américains » lancé au lendemain du 11 septembre 2001, et alors que le Oui s’effondrait aussi rapidement que les Tours jumelles, le directeur du Monde se fendait d’un « Tous Européens », article qui débutait ainsi : « En France, l’élémentaire prudence parlementaire, née de la méfiance que tout républicain devrait nourrir à l’endroit du référendum (...), a été écartée au profit du risque maximum : celui de la simplification, alors qu’il s’agit de se prononcer sur un édifice complexe et qui, par nature, résulte d’un compromis ».
    Texte trop technique. Français trop stupides. Un troisième et dernier argument a aussi été avancé : l’efficacité. Jean-Dominique Guiliani, Président de la Fondation Robert Schuman, l’énoncera magistralement : « toutes les formations politiques ont appelé  à soumettre à référendum le projet de traité constitutionnel. Elles ont exercé un vrai chantage sur le président de la République. On aurait pu faire preuve de plus de discernement (...) jusqu’à preuve du contraire, le Parlement aurait très bien pu examiner la Constitution européenne. Il l’aurait vraisemblablement ratifiée à plus de 80 % ». On reconnaît le tropisme du technocrate bruxellois. Pourquoi, diable, consulter le peuple lorsque l’on peut obtenir à coup sûr le résultat escompté en évitant les urnes ? Et de grâce, épargnez-nous, s’il vous plaît, les foutaises sur l’esprit de la Ve ou la réduction du déficit démocratique entre l’Europe et le peuple ! L’important c’était la ratification de ce traité, et rien d’autre.
    Observons néanmoins que si la montée du Non a le plus souvent révélé un profond dégoût pour la démocratie directe, elle a parfois réveillé les appétits de certains. Après François Bayrou et le Président du Conseil de l’Union en exercice, Jean-Claude Junker, c’est, par exemple, VGE qui se prononcera pour l’organisation d’un nouveau référendum – sur un texte parfaitement identique – dans l’hypothèse… d’un rejet du traité le 29 mai ! Au détour de cette prise de position stupéfiante, ce n’est plus uniquement le référendum que les Européistes ont tenté d’enterrer vivant, c’est aussi le principe même du libre exercice du suffrage !
     
    La démocratie manipulée
     
    En termes de manipulation du vote, rien, absolument rien, ne nous aura été épargné. Dissimulation des vrais enjeux avec la mise à l’écart provisoire de la proposition de directive Bolkenstein ou le débat interdit sur l’adhésion de la Turquie, achat massif des votes par le Gouvernement de Jean-Pierre Raffarin (au total la facture du Oui s’élève à plus de 400 millions d’euros !), appel à l’abstention lancé par le Premier ministre (!) aux partisans du non (« un non qui s’abstient c’est un bon non »), intimidation et chantage constamment exercés sur les électeurs par ce même Premier ministre qui promit une crise économique si le non devait l’emporter, humiliation et culpabilisation orchestrées par le chef de l’Etat, pour lequel « on ne peut pas dire je suis européen et je vote non ; ce n’est pas possible, ce n’est pas convenable », et enfin, naturellement, la diabolisation du vote Non. Et sur ce registre, force est de reconnaître que l’on a encore franchi un nouveau palier dans l’abjection…
    Max Gallo avait prévenu : « le non à cette Immaculée Conception, à cette Constitution, ce sera le chaos, le néant, la fin de l’espérance. Non pas un échec pour les élites aveugles, mais la mort de l’Europe (...) D’un côté le Bien, de l’autre le Mal. Le oui c’est l’intelligence, le non c’est la bêtise, non pas l’expression du désir d’une autre Europe mais la nostalgie du chauvinisme, du totalitarisme et toujours la rancœur d’une ambition rancie et déçue ». La stratégie était simple : elle consistait à « présenter le oui à la Constitution européenne non comme une option, tout en expliquant que c’était la plus sage, mais comme la réponse obligée, officielle, la seule correcte, des gens bien, convenables, normalisés, et que seuls les barbares et les imbéciles pouvaient s’en exonérer ».
    Tous les coups ont donc été permis, notamment les plus pervers. Parmi ceux-ci, on retiendra l’« appel » crapuleux de 11 intellectuels allemands venus tancer les électeurs français, texte publié dans les colonnes du Pariser Zeitung : « c’est avec inquiétude que nous observons le renforcement du non populiste à la Constitution européenne. La majorité des Français veut-elle se terrer dans le bunker commun aux nationalistes de droite et aux nationalistes de gauche ? Ce serait la capitulation de la raison, que les Français eux-mêmes ne pourraient pas se pardonner. C’est pour cela que nous vous demandons de vous opposer avec passion à ce que la France, la patrie classique des Lumières, trahisse le progrès (...) Nous le devons aux millions et millions de victimes de nos guerres insensées et de nos dictatures criminelles ».
     
    La démagogie n’est pas seulement française.
     
    Le ton ainsi donné, la Terreur ne reculera plus devant rien. Surtout pas devant le « péril fasciste » qu’incarne encore et toujours un Front national décidément bien utile au Système : si la formation de Jean-Marie Le Pen s’est (très modestement) engagée pour le Non, c’est bien la « preuve » irréfragable que ce dernier était foncièrement mauvais et que sa victoire pouvait déclencher un cataclysme sans précédent. Autrement dit, Le Pen à la rescousse du Oui ! « Pour sauver le oui, nous expliquerons qu’une victoire du non serait un nouveau 21 avril », résumait clairement François Hollande. Et Michel Noblecourt d’ajouter qu’un « seul parti sera à l’abri de la crise engendrée par un non auquel il aura fortement contribué : le Front national ».
    On accordera cependant la palme de l’ignominie au directeur de ce grand quotidien du soir qui, il faut l’avouer, s’est particulièrement singularisé dès lors qu’il s’est agi de dénigrer les adversaires du traité. Lisons, rien que pour le plaisir, un extrait du dernier édito du sieur Colombani quelques jours avant le vote : la gauche du Non « a gagné la bataille médiatique en accréditant l’idée que le non est de gauche, quand toute l’Europe progressiste et syndicale vote oui. Qu’on le veuille ou non, elle légitime ainsi un populisme de gauche : elle s’est en effet ralliée à l’idée droitière et xénophobe selon laquelle l’abolition des frontières entraîne des conséquences sociales indésirables que l’on pourrait éviter par un repli sur l’État-nation (…) l’idéologie qui porte le non (…) est bien davantage souverainiste que de gauche. Au reste, pour le chef de file du non à gauche, Laurent Fabius, cette évolution n’est guère surprenante : il était logique et cohérent qu’un jour ou l’autre l’homme qui s’était distingué en assurant que Le Pen posait « les bonnes questions » finisse par donner sur un sujet décisif la même réponse que Le Pen ».
    Qui aurait imaginé un seul instant que le recours au référendum et son corollaire, la libre expression des choix politiques, conduiraient un jour à de tels excès ? À l’évidence, la culture démocratique régresse à mesure que les institutions de la Ve République poursuivent leur délitement…
     
    La République décapitée
     
    Le statut du chef de l’État portera aussi longtemps les séquelles du 29 mai. On le savait depuis 1997 mais nous en avons ici une nouvelle confirmation, « le principe gaulliste de la responsabilité politique après un appel au peuple perdu » est définitivement abandonné. Cette situation va-t-elle dans le sens d’une démocratie apaisée – c’est-à-dire ayant rompu avec les fameuses « dérives plébiscitaires » des débuts de la République gaullienne ? Assurément non.
    Une seule condition pouvait légitimer le maintien de Jacques Chirac à l’Élysée, et ce quelle que soit l’issue au soir du 29 mai : sa neutralité dans la campagne. Le chef de l’État pouvait légitimement se cantonner à sa mission constitutionnelle d’arbitre, soumettre la loi autorisant la ratification du traité à la procédure référendaire, puis demeurer au-dessus du débat. Dans ce cas, et uniquement dans ce cas, il n’aurait jamais été personnellement concerné par le résultat. Mais ce ne fut pas le choix de Jacques Chirac qui, à l’inverse, occupera constamment le devant de la scène du oui, tout en refusant d’en assurer les conséquences ! Le président reste attaché à son idée d’une démocratie moderne si brillamment exposée lors du précédent référendum sur le quinquennat : « nous posons une question aux Français, ils y répondent. Ils répondent oui, c’est bien. Ils répondent non : c’est très bien ».
    Cette situation d’irresponsabilité permanente est d’autant plus choquante qu’elle s’accompagne maintenant d’une stupéfiante démission de Jacques Chirac sur la scène internationale. Au lieu de ménager l’avenir afin d’être en position de force au lendemain du référendum, et ce quel qu’en soit le résultat, le président de la République, garant de l’intérêt national et du rang de la France dans le monde, s’est mystérieusement acharné à répéter que, si le non l’emportait, la France n’aurait plus les moyens politiques d’occuper la place éminente qui a toujours été la sienne dans la construction européenne. Bref, ne tenant aucun compte de la nécessité de se ménager certaines marges de manœuvre, le chef de l’État, au diapason de son ministre des Affaires étrangères, n’a cessé de savonner la planche sur laquelle il risquait fort de se retrouver le 30 mai au matin. C’est tout simplement ahurissant. Comme l’écrivait Marie-France Garaud dans un rappel à l’ordre sans concession : « si le non l’emporte, puisque rien ne peut se faire sans la France, nous garderons la main. Sauf évidemment si nos responsables politiques continuent d’étaler leur impuissance dans un chantage à la peur qui les déconsidère. Renoncer à défendre la volonté de son peuple à la seule évocation d’un futur combat, quel aveu d’échec. En fait ce sont eux qui ont peur. Eh bien, s’ils jugent trop lourdes pour leurs épaules les charges que le peuple leur a confiées, qu’ils les quittent ».
    Même s’il n’est pas sûr que ce soit toujours pour les bonnes raisons (ainsi, on ne peut que déplorer l’absence totale du débat sur le fédéralisme), les Français ont finalement liquidé le projet de Constitution européenne. Nul ne s’en plaindra. Reste maintenant à organiser l’avenir. Chacun le sent : le courant national a plus que jamais besoin d’une grande force politique pour contrer les tentatives des fédéralistes visant à ressusciter le traité et restaurer, après la prochaine élection présidentielle, les principes fondateurs de la Ve République, principes dont seul le respect scrupuleux est à même de garantir la souveraineté de la France.
     
     
    Jean-Baptiste Barthélémy