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  • N°9 - L'impasse institutionnelle de l'universalisme moderne

    Les réalités sociales n’ont cessé d’émouvoir et de contester le rationalisme utopique qui fonde la République.
    Par Alain Raison

    La République c’est la guerre ! À écouter les républicains, il y a toujours une menace à dénoncer, un conservatisme a émanciper, un clan factieux à indexer. Ce ressentiment envers la société est une constante de l’idéologie républicaine et on peut se demander si elle ne lui est pas consubstantielle. L’égalité, l’unité, le bien public, la citoyenneté, la loi semblent toujours menacés par les réminiscences sauvages de formes de sociétés traditionnelles que la modernité politique aurait dû dépasser : religion, communauté, oligarchie, aristocratie, corporatisme, féodaux et vassaux. L’ambition universaliste de la République est minée par la permanence des particularismes. Si le ressentiment est un idéalisme dégénéré par les démentis du réel, il nous faut penser les menaces dénoncées par les républicains non comme des causes de la crise de la République mais comme des symptômes. La faute vient d’un idéal inadapté à la réalité. Les dysfonctionnements continus manifestent les limites de la pensée qui a présidé à l’organisation de l’État, son impuissance à penser l’ordinaire des sociétés humaines. La cause réside dans la constitution rationnelle et abstraite de la République elle-même.

    La France moderne est une idée

    Elle est l’invention d’un démiurge imbu de foi en la seule Raison : le “rationaliste”. Selon Michael Oakeshott : « Les circonstances du monde moderne l’ont rendu batailleur : il est l’ennemi de l’autorité, du préjugé, de ce qui est simplement traditionnel, coutumier ou habituel. Au fond, il défend l’indépendance de l’esprit en toutes les occasions, la pensée libre de toute obligation envers quelque autorité que ce soit exceptée celle de la Raison ». Sceptique de tout, sauf de sa propre puissance, le rationaliste croit que sa Raison est commune à toute l’humanité et doute que l’on puisse penser différemment de lui. « S’il était plus critique envers lui-même, il pourrait même commencer à se demander comment l’espèce a bien pu réussir à survivre avant lui ».

    Le rationaliste philosophe en ingénieur, fait de la politique en technicien : la société et sa complexe sédimentation historique le dégoûte. Après l’émergence aux XVIIe et XVIIIe siècles des théories du contrat social, la société est perçue comme une construction artificielle et aliénante érigée contre la Nature donc contre la spontanéité de ses membres. La volonté humaine dont les philosophes revendiquent l’autonomie, ne peut que s’insurger contre ce qui pourrait la contenir : Dieu, les autorités et les coutumes sociales. Du nœud complexe de destins que l’histoire a croisés, ils veulent faire un faisceau parfait de droites égales que noue une pure idée. La France monarchique n’est qu’un obscur brouillon que la Raison va ordonner à l’image d’un mécanisme parfait.

    Régénérer l’histoire

    C’est “l’adunation” de Sieyès, un mot nouveau pour fabriquer une France nouvelle : la Nation. En grand géomètre de cette cité parfaite, Sieyès cherche la voie d’une régénération de l’histoire par les catégories universelles de la raison abstraite. Les institutions politiques ne doivent plus être le fruit de l’expérience et du compromis historique entre les divers ordres sociaux, elles doivent au contraire en suggérer une image sublimée, dérivée de principes rationnels quasi-arithmétiques, constituer dans leur abstraction même l’anticipation performative d’une société d’individus égaux.

    Sous l’Ancien Régime, l’articulation entre les intérêts locaux, sociaux ou professionnels et le bien commun se faisait organiquement par l’agencement des différents groupes de la société, qui constituent la communauté politique sous forme de personnes morales instituées. La déclaration des droits de l’Homme institue que « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation. Nul corps, nul individu ne peut exercer d’autorité qui n’en émane expressément ». La nuit du 4 août puis la loi Le Chapelier, abolissent les corps constitutifs de la société française. Toute coalition pour défendre de « prétendus intérêts communs » devient passible du tribunal révolutionnaire. Le Chapelier déclare qu’il n’existe désormais que « l’intérêt particulier de chaque individu et l’intérêt général du gouvernement . Les révolutionnaires « désincorporent » radicalement la société et ne laissent aux individus d’autre identité qu’une communion civique avec la totalité : la Nation ou le Peuple !

    La tradition républicaine est cette persévérante volonté d’émanciper l’individu de ses appartenances provinciales, religieuses, sociales ou professionnelles pour en abstraire une volonté autonome et éclairée. N’oubliez pas que l’homme est bon mais que c’est la société qui le rend mauvais ! « La démocratie est le sacrifice complet de l’individu à la chose publique, c’est à dire celui de l’être sensible à l’être abstrait » note Sieyès. Il faut « fondre l’esprit local et particulier en un esprit national et public ». Le Citoyen sera le prototype expérimental de l’homme régénéré.

    Les limites de l’utopie

    Dans l’ordre des représentations, la France bascule d’une société de corps historiques vers une société contractuelle d’individus. Pour suppléer à l’articulation organique et coutumière entre la société et l’État, les révolutionnaires vont devoir orchestrer une mythologie politique créant un entre-soi nécessaire à la cohésion de la Nation. La centralisation étatique est corollaire à l’émancipation individuelle. L’école, l’armée, les fêtes, les élections, deviennent des instruments politiques de conformation idéologique des citoyens. Les moindres résistances sociales sont traquées. Mais très vite, sous couvert des modalités démocratiques de dévolution du pouvoir se reproduisent les structures sociales de l’Ancien Régime. Le suffrage universel est conservateur et les républicains doivent inventer l’isoloir pour suppléer à ce défaut d’émancipation, abstraire l’individu de sa contingence sociale vers le ciel serein de l’opinion pure. La République dévoile sa vraie nature, un projet perpétuel dont l’échec des réalisations est excusé par la sacralisation des fins ultimes qu’elle revendique.

    Les sciences sociales, les romanciers et pamphlétaires ont vite fait de dévoiler ce qui se trame en coulisse de ce théâtre où les acteurs se parent de la transparence des principes universels. Carré de Malberg, le dit dans une formule laconique : « Dans le système parlementaire, le dogme de la souveraineté populaire est aussi abstrait, que celui de la souveraineté divine dans la monarchie traditionnelle. De fait le pouvoir est accaparé par le ou les représentants du peuple, de manière discrétionnaire ». Balzac, Tocqueville, Daniel Halévy, Karl Marx le montrent. La République est une forme moderne de légitimation du pouvoir. Elle masque la permanence des formes traditionnelles de fonctionnement, aussi anciennes que l’État lui-même. De fait, les systèmes démocratiques sont des oligarchies concurrentielles et compétitives. Des dynasties se fondent, les aristocraties du savoir remplacent celle du sang, les corps intermédiaires se reconstituent en formes de réseaux. La modernité politique est un vernis brillant qui masque l’épaisseur opaque du temps, la sédimentation ininterrompue des hommes que les nécessités, et non la loi, agrègent.

    La corruption nécessaire

    L’ensemble des “affaires” qui ébranlent l’ordre républicain dessinent le négatif de l’ambition prométhéenne des rationalistes. L’intérêt général est détourné par des intérêts particuliers, l’utilité publique masque opportunément certaines utilités privées, l’État unitaire est une ruche de groupes contradictoires et concurrentiels, enfin la Nation est menacée par le « communautarisme ». La République, parce qu’elle s’organise comme une utopie impérative, est corrompue par une réalité retorse et des citoyens relapses.

    Le régime représentatif, en substituant aux corps intermédiaires une relation directe et indifférenciée entre des citoyens et l’Assemblée, laisse dans l’ombre les divers intérêts constitutifs de la société. Faute d’une reconnaissance institutionnelle, chaque groupe doit essayer de “peser” sur les circuits de décision institutionnel : commandes de sondages, calcul sourcilleux du nombre de manifestants, grève, lobbying, pots de vins, répondent à cette même nécessité. Cédera, cédera pas ? Les représentants de la Nation abstraite savent bien qu’il leur est nécessaire de « s’enraciner » pour être élus. Ils doivent reprendre tous les revendications sociales et s’identifier à certaines d’entre elles.

    L’arrangement institué devient la condition de survie quand les règles sont inapplicables en raison de leur abstraite généralité. L’excès de chicanes administratives et de contrôles pour éviter le détournement privé de la chose publique aboutit à la nécessité d’une transgression ordinaire de la norme à la seule fin de l’efficacité de l’État.

    Cette nécessité réordonne le lien civique abstrait à sa seule fonction possible. Mais l’effet pervers de l’articulation abstraite entre ordre privé et ordre public est que les deux sphères restent confondues invisiblement, de manière informelle, coutumière et tendent vers le clientélisme mafieux. Le rapport de forces entre intérêts divergents se joue à coups de finances et de moyens nécessairement occultes. Cela aboutit à un arbitrage sauvage des intérêts et à l’anarchie au sein de l’État. En pratique c’est donc la transgression qui est ordinaire par sa nécessité et l’ordre légal rationnel, une déviance en ce qu’il parasite le fonctionnement de la société. Chaque manifestation, chaque action de lobbying est un piratage légitime. La République ne laisse d’autre choix aux diverses communautés que le brigandage ordinaire.

    La République contre la France

    Le ressentiment des derniers républicains est dangereux. Frappés de cécité par leur bonne foi en l’indépassable raison moderne, les libres penseurs aliénés ne peuvent faire le deuil de leur idéal malgré son échec et préfèrent encore nier la réalité et tenter de la transformer. Leur obsession perdure dans le réflexe maniaque de sauvegarde d’une « sphère publique » indifférenciée contre les « tentations » particularistes. Les divers groupes sociaux, locaux, communautaires ou socioprofessionnels ont unanimement contourné cet obstacle, en allant s’installer à Bruxelles, auprès d’institutions européennes moins ingrates. La République, en se confondant avec la France, exaspère les corps de la société française et les tourne vers l’étranger. L’attachement à la France ne perdurera que si on sait ne pas l’opposer aux communautés les plus anciennes et les plus récentes qui constituent sa chair. La France n’est pas un “bloc” et l’État a longtemps été le fédérateur indispensable de la diversité française. Cette union n’aura de chance de perdurer que si les institutions reconnaissent et servent cette société au lieu de l’ignorer, de la considérer comme une menace et de tenter de la réduire.

    Sans cela la prétention de la nation sur les personnes n’est plus celle d’une communauté constitutive et historique à l’égard de laquelle ils reconnaissent des attaches, mais la prétention d’une collectivité agglomérée dont ils subissent les empêtrements administratifs. Le lien social et les communautés sur lesquels reposait l’ordre politique ne médiatisent plus ces identifications communes et chaleureuses qui rendaient aimables la soumission à l’État. Par une inadéquation entre les structures politiques et la société humaine telle qu’elle existe spontanément en divers groupes sociaux, l’organisation républicaine de la France a miné les fondements de la société politique qu’elle voulait établir plus sûrement.

    Comme l’écrit Michel Michel : « Il faudra bien pourtant que les républicains admettent s’ils veulent défendre la Nation, que la France est antérieure à 1789. C’est seulement dans l’observation de cette genèse historique qu’ils retrouveront les vertus fédératives de la France. Il faut renouer avec le capital symbolique et mythique fort de l’histoire de France, qui seul peut redonner le sens nécessaire à la communauté nationale pour survivre. C’est autour de l’attachement à un bien commun, que se tissent les liens communautaires qui permettent aux individus de se hisser à la hauteur d’un être collectif ».

    La France sans les communautés s’épuise. Mais à cause de la République qui cherche à se confondre avec la Nation, les communautés semblent menacer la France alors qu’elles ne menacent que la République. Pour renouer avec les vertus fédératives de la France, la nécessité appelle le Roi des Républiques françaises.
     
     
    Alain Raison

     À lire :
    - Yves Mény, La corruption de la République, Fayard, 1992
    - Michel Michel (dir), Les communautés : une question posée à la France, L’âge d’Homme, 2002
    - Michael Oakeschott, “Le rationalisme en politique”, in Cités, n°14/2003, PUF.

     

  • N°9 - Jacques Dufilho : le moine comédien

    Par Laurent Dandrieu

    Y a-t-il un autre comédien au monde qui aurait pu incarner le commandant Gardefort, le héros de Milady, la nouvelle de Paul Morand ? Porté à l’écran pour la télévision par François Leterrier, Milady fut diffusé le 21 juillet 1976, veille de la mort de Morand. Mais l’écrivain avait vu le téléfilm quelque temps auparavant lors d’une projection privée et, lui qui ne pensait pas que son récit pût être porté à l’écran sans dommage, s’en trouva ému jusqu’aux larmes, rapporte Dufilho. Celui-ci ne collait pas seulement au rôle par le fait que, seul peut-être des comédiens français, il avait lui-même pratiqué la haute école, comme Gardefort, cet écuyer du cadre noir de Saumur qui pousse l’amour pour son cheval Milady jusqu’à la mort.  Gardefort a lui aussi cette exigence, cette pudeur, ce mélange de certitude et d’humilité, ce goût des choses authentiques et du travail bien fait, cette politesse surannée aussi, qu’on retrouve chez Jacques Dufilho alors qu’il nous reçoit dans un hôtel parisien où il est venu parler de son récent livre de souvenirs, les Sirènes du bateau-loup. Jusqu’au titre du recueil de nouvelles dont est extrait Milady, les Extravagants, qui lui irait comme un gant.

    La force de la liberté

    De l’extravagance, il en a à revendre, Jacques Dufilho, qui pointe dans tous ses rôles, du chef-mécanicien du Crabe-tambour avec ses extraordinaires légendes du pays bigouden, au paysan de C’est quoi la vie ? (chef d’œuvre méconnu de François Dupeyron, sorti en 1998), en passant par le vengeur obstiné d’Une journée bien remplie, de Jean-Louis Trintignant. Sa voix étrange mâtinée d’accent gascon et qui dérape parfois dans les aigus, son regard traversé de désarmants éclairs de naïve malice, cette sorte de folie douce, curieux mélange de très ancienne sagesse et d’esprit d’enfance (je me souviens, lors d’un précédent entretien, de l’avoir vu s’interrompre soudain au beau milieu d’une phrase pour se mettre à japper furieusement comme un jeune chiot : c’était sa manière de souhaiter la bienvenue à l’un de ses partenaires, dont il avait entendu le pas approcher), qui semble en permanence le posséder, rendent chacune de ses apparitions inoubliables. Mais une extravagance qui n’a rien à voir avec la simple excentricité de qui ferait le malin pour se distinguer de ses semblables : l’extravagance de Jacques Dufilho, dénuée de tout histrionisme, est celle des êtres trop libres pour se conformer au regard des autres, parce qu’ils ont la force modeste et inébranlable de ceux qui sont habités par une vérité intérieure qui les dépasse et les transcende.

    Si Dufilho devait résumer ses attachements profonds, il pourrait le faire à la manière d’un autre Jacques, Perret, lors d’une mémorable séquence d’Apostro-phes : le trône et l’autel. Monarchiste convaincu (« légi -timiste » ne manque-t-il jamais de préciser à des interlocuteurs qui, le plus souvent, n’ont pas la moindre idée de ce dont il parle), catholique traditionaliste (du temps qu’il était encore parisien, ses pas le conduisaient souvent, le dimanche matin, vers Saint-Nicolas-du-Chardonnet), Jacques Dufilho souffre intimement de l’éclipse du sacré et tente à sa manière d’en rallumer la flamme, dans sa vie privée comme dans son existence de saltimbanque.

    Avant que d’embrasser la carrière de comédien, il se lança à corps perdu dans la paysannerie, sans un sou, empruntant de l’argent pour louer une paire de bœufs, se faisant embaucher comme apprenti bénévole dans un domaine où il mena une vie monacale dont on devine qu’elle convint comme un gant à celui qui, bien des années plus tard, confessera à Renaud Matignon son goût pour l’aspect réglé de la vie religieuse. Activité qui comblait sa nature contemplative : « La respiration des bêtes est un langage et la travail de la terre une prière, écrit-il. N’étions-nous d’ailleurs pas obligés de nous agenouiller souvent ? Et les plantes que nous avions semées ne se dressaient-elles pas dans la nuit comme autant de cierges allumés ? » S’il renonce à ce métier, ce n’est pas seulement à cause de l’appel du théâtre, mais aussi parce que la mécanisation qui s’annonce menaçait déjà « la spiritualité inhérente au travail de la terre ».

    Bugatti et Cie

    Dans le métier de comédien tel qu’il le pratique, il retrouve pourtant cette dimension spirituelle : « Quand on sème, dit-il, on ne sait jamais ce que ça va donner, il y a une part de Providence ; ça marche si Dieu le veut » ; comme au théâtre ou au cinéma, en somme. Quand il parle de son métier, c’est souvent au vocabulaire chrétien qu’il recourt, parlant volontiers de devoir d’état ou d’humilité. S’il n’y a rien de plus important pour lui que de ne pas se prendre au sérieux, il prend en revanche son métier très au sérieux, en parlant comme un artisan du temps jadis, en termes de responsabilité, de respect (du texte, des partenaires, du public), de discipline. Jacques Dufilho est comédien comme d’autres sont moines, mais un moine délicieusement bon vivant et rieur, qui n’a jamais eu peur d’engloutir ses revenus dans de dispendieuses manies, comme sa collection de Bugatti ou son château de Bouvées.

    Non content d’avoir acheté au début des années soixante une exploitation agricole, Dufilho fit en effet dans les années quatre-vingt, toujours dans sa Gascogne natale, l’acquisition d’un petit château médiéval délabré, où il avait reconnu celui qu’il avait vu en songe quelques semaines plus tôt. Le fisc l’obligera à le revendre quelques années plus tard, mais si le comédien en parle sans amertume, c’est sans doute parce que lui ayant rendu entre-temps son lustre malgré son impécuniosité (se transformant lui-même en représentant de différentes corporations pour retaper la ruine, non sans installer dans toutes les pièces fleurs de lys et coquilles de saint Jacques), il garde la satisfaction inestimable d’avoir restauré un peu de la beauté du monde. Et la révolte lui est étrangère.

    Son abandon à la Providence (« Il faut toujours avoir présent la certitude que Dieu va vous aider, dit-il. Ça ne m’a jamais abandonné »), on le retrouve dans le choix de ses rôles, qu’il ne sollicite jamais, attendant qu’on vienne le chercher : « Je ne suis au courant de rien, j’essaie de vivre dans l’esprit de pauvreté, “donnez-nous aujourd’hui notre pain de ce jour” », d’où l’aspect parfois désordonné d’une carrière qui, au cinéma du moins alterne chefs d’œuvre et invraisemblables panades : « En soixante ans de carrière, écrit-il, j’ai fréquenté souvent le ciné, parfois le cinéma et en de très rares occasions le cinématographe chanté par Apollinaire. Le goût n’a rien à voir dans l’affaire. » (Son parcours théâtral est plus cohérent, alignant des pièces d’Audiberti dont le Mal court, Colombe d’Anouilh, les Maxibules que Marcel Aymé a écrit en pensant à lui, ou le Gardien de Pinter). Cette carrière, précise-t-il, « je la considère comme une grande série de hasards. Mais Dieu crée le hasard, à travers votre désir d’autre chose : c’est le fruit de la confiance et de l’espérance. Peut-être qu’à partir du moment où l’on a toujours cette possibilité d’espérer, on a la possibilité de mériter encore une nouvelle aventure, chaque fois. » Pour lui, la prochaine sera le nouveau film de Pierre Schoendoerffer, Là-haut, à l’affiche à l’automne ; si on en lui souhaite encore beaucoup d’autres, on devine que pour lui il ne saurait en être de plus passionnante que le grand passage qu’il attend avec une souveraine confiance, et qui lui permettra de connaître intimement l’absolu de ce sacré dont il n’aura cessé de chercher à préserver le reflet ici-bas.
     
     
    Laurent Dandrieu
     
    - Les Sirènes du bateau-loup, de Jacques Dufilho, Fayard, 302 pages, 20 g.