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N°18 - Présidentielle 2007 : état d'urgence sur les candidatures

Par Patrick Longuet
 
La prochaine élection présidentielle est prévue dans seulement dix-huit mois, mais on compte déjà une vingtaine de candidats déclarés. Entre grandes manœuvres et petites ambitions, la kermesse présidentielle est bel et bien ouverte…
 

Un certain nombre jetteront l’éponge avant l’échéance, soit qu’ils auront été victimes des procédures de sélection internes aux partis politiques (on pense ici à quelques-uns des éléphants du Parti socialiste), soit qu’ils n’auront pas réussi à obtenir les parrainages indispensables (hypothèse qui n’est absolument pas à écarter du côté du Front national, et ce quel que soit son candidat…), soit encore qu’ils auront échoué à réunir les fonds nécessaires. Si nul ne peut donc dire, à ce jour, combien de candidats participeront finalement au premier tour de l’élection présidentielle, on peut en revanche être assuré que l’éclatement de l’offre électorale, sa « proportionnalisation »,  sera à nouveau l’un des phénomènes marquants du prochain scrutin élyséen.
 
Électorat à la dérive
 
Déjà signalée par le Conseil constitutionnel (1) en novembre 2002, cette perspective inquiète d’ailleurs bien des observateurs qui attribuent à la multiplication des candidatures la responsabilité du 21 avril 2002. « La tendance à la multiplication des candidatures, constatée en 2002, se confirme et s’amplifie, faisant planer sur le scrutin de 2007 le risque d’un nouveau 21 avril, écrit Philippe Ridet » (2). Quant à Alain Duhamel, il voit dans ce « trop-plein de candidats » se reproduire l’une des « dérives de 2002 » et constate, amer : « les leçons du 21 avril n’ont pas été tirées » (3).
Comment expliquer cette augmentation constante du nombre de candidats admis à participer à l’élection du chef de l’État ? Dans l’ensemble, les avis exprimés à ce sujet se rejoignent là aussi pour rapporter le phénomène à ce qu’il est convenu d’appeler la « crise du politique ». L’échec des partis dits « de gouvernement » à apporter des réponses efficaces et durables aux « problèmes des Français » nourrirait un rejet des formations politiques classiques, rejet dont l’inflation des candidatures à la présidentielle serait, à côté de l’augmentation constante de l’abstention et du vote protestataire, l’une des plus singulières illustrations. « Stade suprême du mécontentement » (41), l’éparpillement présidentiel serait plus exactement l’un des symptômes de la crise de la représentation, c’est-à-dire de l’incapacité grandissante des partis institutionnels à conserver le monopole de l’expression politique.
Faute de pouvoir agir à la source, les solutions envisagées pour inverser la tendance visent alors à redonner à ces partis contestés les moyens de se réapproprier artificiellement le processus de sélection des candidats à la présidentielle, de le maîtriser plus efficacement.
On pense spontanément aux primaires qui, d’ores et déjà pratiquées au sein du Parti socialiste, vont voir le jour au sein de l’UMP. Reste que l’effet de telles procédures strictement internes aux formations politiques demeure non seulement limité aux seules formations concernées, mais le succès des primaires suppose aussi que l’ensemble des candidats d’une même famille politique acceptent de s’y plier…
À côté de ce mécanisme partisan, on peut également envisager de modifier le dispositif applicable à la présentation officielle des candidats. C’est en l’occurrence la manière forte, et c’est ce que suggère implicitement Alain Duhamel en distinguant les « véritables candidats à la présidence de la République » des « candidats à la campagne présidentielle ». Les premiers, explique Duhamel, « aspirent vraiment à entrer au palais de l’Élysée et possède une chance, grande ou petite, d’y parvenir. Ils se recrutent parmi les principaux partis de gouvernement ». À l’inverse, poursuit le commentateur, les seconds « savent fort bien qu’ils ne deviendront pas chef de l’État. Ce qui les anime, c’est la chance de pouvoir pendant un an ou dix-huit mois bénéficier de l’éclairage et de la promotion des médias ».
 
Vote sous surveillance
 
Cette summa divisio entre candidats n’est pas bien sûr pas une trouvaille ; ce qui est nouveau, en revanche, c’est l’idée que ces petits candidats, fondamentalement inutiles dans l’esprit d’Alain Duhamel, parasitent à ce point le scrutin présidentiel et qu’il conviendrait à présent de s’en débarrasser définitivement. Des hypothèses ont été formulées en ce sens. On a ainsi évoqué le relèvement du nombre de parrainages et, sans doute encore plus radical, la publication de l’identité des élus qui accordent leur parrainage à un candidat, proposition formulée par le Conseil constitutionnel qui « estime essentiel que soit rendue publique, pour chaque personnalité présentée, la liste intégrale de ses présentateurs. Conforme à l’égalité entre élus qui présentent un candidat comme à la transparence de la vie démocratique, cette publicité serait matériellement facilitée par l’usage d’Internet » (5).
En dehors du fait que cette traçabilité des parrainages dissuaderait sans doute certains élus indépendants d’accorder leur « soutien » à des candidats situés à la périphérie du Système politique, placer les signataires de parrainage sous les projecteurs éviterait aussi que les grands partis ne se livrent au petit jeu de billard à trois bandes consistant à donner discrètement des signatures à des petits candidats susceptibles de gêner quelques adversaires potentiels. Ainsi, pour prendre ici l’exemple de 2002, une rumeur (6) insistante raconte que le RPR aurait fourni les signatures manquantes à Bruno Mégret dans l’espoir que celui-ci prenne des voix à Jean-Marie Le Pen…
 
La Ve, De Gaulle et le vote
 
Quelle que soit l’option retenue, mise en place d’une procédure de sélection interne aux partis politiques ou renforcement du mécanisme du parrainage, il est intéressant de noter que toujours les promoteurs de ces réformes invoquent la nécessité de redonner sa dignité à l’élection présidentielle. Dénonçant le trop-plein de candidats, Alain Duhamel écrit en ce sens que « la victime s’appelle l’élection présidentielle ; condamnée à l’embouteillage, elle ne peut plus remplir sa fonction, c’est-à-dire désigner clairement le monarque quinquennal de notre demi-démocratie ». Quant aux partisans des primaires à l’UMP, certains soutiennent mordicus qu’il s’agirait d’une procédure parfaitement conforme à l’esprit des institutions… Force est cependant de reconnaître que parler d’un retour à ce fameux « esprit » des institutions tout en consacrant l’emprise des grands partis politiques sur l’élection présidentielle s’avère très périlleux.
Parce que « l’institution présidentielle, sous la Ve République, entend renouer avec ce qu’était l’essence de la monarchie capétienne d’Ancien Régime, l’incarnation de l’unité nationale dans la personne du chef de l’État à qui est confiée l’autorité indivisible de l’État » (7), l’élection présidentielle n’est pas une élection comme les autres. Scrutin solennel s’il en est, sacre républicain scellant la rencontre, la communion entre un homme et le peuple français, la présidentielle ne pouvait, aux yeux du général De Gaulle, se plier aux contraintes de la routine politicienne. Par principe, elle ne devait surtout pas se confondre avec ces joutes électorales qui font la joie des professionnels de politique, et le malheur des Français. Dans une certaine mesure, on peut même dire que, pour le père de la Ve République, la désignation du chef de l’État tenait moins de l’élection, c’est-à-dire d’une compétition ouverte, que de la confirmation, de la ratification d’un « choix » s’imposant de lui-même bien avant l’échéance. Partant, il était naturellement impensable que l’acte de candidature puisse résulter d’autre chose que d’une mise en situation préalable au scrutin. En d’autres termes, c’est pour ainsi dire aux événements qu’il revenait de désigner « le candidat », et à nulle autre instance.
C’est là ce qui explique justement le refus catégorique du général De Gaulle de permettre à quiconque, à commencer par les partis, de s’approprier un scrutin qui n’appartenait qu’aux Français. D’où ses réticences à instituer le moindre filtre (8) entre ces derniers et les prétendants à la charge suprême. Pas question non plus, pour le général de Gaulle candidat en 1965, de « faire campagne » : c’eut été non seulement s’abaisser au rang d’un compétiteur comme les autres mais, de surcroît, cautionner l’immixtion des partis dans une affaire à laquelle ils devaient impérativement demeurer étrangers.
 
Vessies et lanternes
 
Surprenante vision des choses que celle qui prétend donc rendre son lustre d’antan à la fonction présidentielle en entérinant le rôle de ceux-là même qui portent la lourde responsabilité de sa banalisation et, par voie de conséquence, de sa dénaturation. Car n’oublions pas que l’action corrosive des grands partis a dépassé de très loin la simple récupération du scrutin présidentiel. Une fois placée sous la tutelle des partis, la fonction présidentielle a méticuleusement été dépouillée de ces attributs les plus essentiels, ce qui a encore accéléré la démonétisation du scrutin : qui peut sérieusement nier qu’il existe un rapport évident entre le passage au quinquennat présidentiel et la précocité avec laquelle la campagne présidentielle de 2007 a débuté - en l’espèce au lendemain de la réélection de Jacques Chirac…
Il est parfaitement exact que le spectacle offert lors de la présidentielle de 2002 n’a rien de reluisant. 16 candidats, parmi lesquels une grosse poignée de farfelus, un Président incapable de réunir sur son nom et son action passée plus de 20 % des suffrages exprimés au premier tour : on comprend sans mal que le sens et la portée de l’élection présidentielle puissent désormais échapper à l’immense majorité de nos compatriotes. Est-ce cependant en réservant aux seuls partis de gouvernement, qui sont aussi et avant tout les fossoyeurs de la Ve République, l’exclusivité de la participation au scrutin présidentiel que l’on modifiera la donne ? Il est permis d’en douter et, en définitive, on se laisse aller à penser, parfois, que les objectifs assignés par le général de Gaulle à la fonction présidentielle sont fondamentalement incompatibles avec l’exercice de la démocratie moderne…     
 
 
Patrick Longuet
 
 
 

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