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N°16 - Le souverainisme face à la construction européenne

Par Paul-Marie Coûteaux
Député français au Parlement européen, directeur du mensuel L’Indépendance
 
Il n’y a guère qu’un mot qui soit entré récemment dans le vocabulaire politique français, le souverainisme. Il se veut une protestation si globale de la “nouvelle gouvernance” qui se substitue peu à peu au gouvernement classique qu’il est caricaturé à loisir par les grands et petits maîtres de l’opinion. Pourtant, l’actualité ne cesse de confirmer ses prémisses.
 
Fondements
 
Ses prémisses, quelles sont-elles ? Au plus simple, le souverainisme n’est autre que la volonté de rétablir la supériorité du souverain, c’est-à-dire du peuple, face aux pouvoirs de fait, féodalités intérieures ou pouvoirs extranationaux. C’est pourquoi il a deux faces indissociables : la souveraineté nationale et la souveraineté populaire déjà théorisées ensemble par Jean Bodin à la fin du XVIe siècle.
Pour Bodin, le souverainisme est le principe de gouvernement qui affirme le primat du pouvoir légitime sur l’ensemble des pouvoirs illégitimes. Pour aujourd’hui ceux-ci sont aussi bien les féodalités économiques, financières, médiatiques, bureaucratiques, les potentats locaux, les appareils syndicaux, de partis, que des pouvoirs extranationaux, les instances européennes, l’Organisation Mondiale du Commerce, l’OTAN... Il ne s’agit pas, évidemment, de refuser les coopérations ponctuelles et révocables avec ces instances supranationales, ni de nier l’existence de tout corps intermédiaire qui, si leur rôle est indispensable pour l’organisation des sociétés, n’en doivent pas moins rester soumis à une instance supérieure, l’État. On pourrait dire en somme que, invoquant les fondamentaux les plus classiques de la politique française (classiques mais hélas perdus de vue par la science politique contemporaine...), la Souveraineté et la Légitimité, le souverainisme a pour objet les conditions de l’autorité légitime dans les sociétés modernes.
Il n’y a pas de jour qui illustre sa disqualification. La plupart des décisions qui concernent nos vies émanent de la Commission de Bruxelles, de l’OMC, de la Banque de Francfort et de multiples organisations souvent dites internationales qui semblent les nouveaux dépositaires d’une souveraineté privée de lien avec une quelconque légitimité démocratique. S’il est si difficile de prévenir les marées noires par exemple, c’est que toute décision sur la double coque ou l’âge des navires, non seulement échappe aux États mais aussi au Conseil des ministres européen, la réglementation dans ce domaine dépendant de l’Organisation Maritime Internationale (OMI), dans laquelle siègent, à proportion des pavillons de complaisance qu’ils accordent, des États ainsi soumis aux armateurs.
 
À vau l’eau
 
Le pire est que l’État lui-même est miné de l’intérieur. L’exemple fut donné aussi bien par les gouvernements dits de “gauche” que ceux dits de “droite”. Lorsque le ministre socialiste Christian Sauter constata que deux directions générales de son ministère, celle des Impôts et celle du Trésor, avaient à peu près les mêmes compétences et qu’il entreprit de les fondre, que croit-on qu’il advint ? Les syndicats se mobilisèrent et le ministre dut démissionner. Le ministère de l’Éducation nationale fourmille d’exemple de réformes impossibles : aucun ministre ne parvient davantage à réformer quoi que ce soit dans l’université française qu’à diminuer le nombre de surveillants dans les collèges à proportion de la diminution des scolarisés. La simple déconcentration de la gestion des personnels ouvriers et de service provoqua grèves et manifestations : aussitôt le ministre recula. Il en va ainsi en presque tout domaine : ce que l’on appelle par habitude le pouvoir n’a plus le pouvoir, le roi est nu et, par ricochet, le jeu démocratique devient une partie de football sans ballon...
Bien entendu, c’est dans le cadre du débat européen, sujet sans doute le plus grave auquel la France est aujourd’hui confrontée, que la critique des souverainistes se porte par prédilection.
On sait que l’État national est lentement diminué par des pouvoirs dont les normes sont supérieures aux siennes, renversement proprement historique du principe de souveraineté encore proclamé dans la Constitution. Faut-il rappeler que nos gouvernements sont dans presque tout domaine menacés d’être traînés devant des tribunaux européens, lesquels, on le sait, leur donnent presque toujours tort ? Certes, certains des domaines de l’État échappent aux carcans supranationaux, mais c’est mal connaître les ressorts du pouvoir que de s’imaginer qu’un gouvernement auquel est interdite toute autonomie dans les grandes affaires puisse avoir tant soit peu d’autorité dans les petites. Quand la légitimité s’est trop érodée, quoi que fasse, dise ou tente un gouvernement, il ne dispose plus d’une autorité suffisante pour assurer la mobilisation nationale et son impuissance de plus en plus affichée le délégitime à mesure. Un citoyen n’obéit que s’il reconnaît au pouvoir une suffisante souveraineté, un accès aux grandes affaires du monde...
Ce fut tout l’enjeu du référendum sur la “Constitution” européenne qui dépassa de beaucoup d’ailleurs la seule question de l’Europe. Si le souverainisme désigne la possibilité “qu’il y ait de la politique”, c’est-à-dire de la Volonté générale, du Bien commun, une raison organisatrice dans l’immense chaos de la mondialisation et de la marchandisation du monde, alors c’est bien à lui qu’est désormais attaché tout ce que nous pouvons encore nommer la République.


Paul-Marie Coûteaux
 
 
 

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