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N°11 - Conservatisme et futurisme

Par Eric Arnodin
Eric Arnodin est architecte.

«Depuis le XVIIIe siècle, il n’y a plus d’architecture, ce que nous appelons architecture moderne est une mixture stupide des éléments stylistiques les plus divers qui servent à masquer le squelette moderne. La beauté nouvelle du béton et du fer est profanée par la superposition d’incrustations décoratives de carnaval qui ne sont justifiées ni par des nécessités de structure ni par notre goût, et dont les origines remontent à l’antiquité égyptienne, indienne ou à cette stupéfiante explosion de stupidité et d’impuissance qu’on appelle le néo-classicisme. » Cette diatribe écrite « contre le culte lâche du passé » fête cette année ses quatre vingt-dix ans. Tirée du manifeste de l’Architecture futuriste présenté par Antonio Sant’Elia et Mario Chiattone à Milan, elle entonnait le début d’une longue cacophonie idéologico-architecturale célébrant l’insufflation et la naissance de ce qu’il est convenu historiquement d’appeler (sic) l’architecture moderne. Suprématisme, purisme, futurisme néo-plasticisme et autre constructivisme se sont tour à tour proclamés, n’ayant de cesse de revendiquer un rationalisme qui jusqu’alors aurait toujours fait défaut aux anciens. Ces courants avant-gardistes, roulant comme une colonne blindée de vérités neuves et impétueuses vers le siècle des cités radieuses et des peuples irradiés de bonheur, tirèrent avec force et, il faut bien le dire, avec un certain talent, sur les murs épaufrés d’une autre architecture qu’il était commode et indispensable de qualifier d’arrière-garde, d’historiciste ou de néo-classique, autrement dit de conservatrice.Touts ces mots affublés de suffixes narcissiques sont en fait les pions d’un jeu de dupe. Pure bataille sémantique. Ces adjectifs qualifient souvent bien plus ceux qui les emploient que l’architecture proprement dite. Les concepts de futurisme et de conservatisme en architecture sont faits du même métal, ont été écrits sur la même médaille mais pas sur le même côté. Le conservatisme n’a été défini que par défaut, et par ceux-là mêmes qui, non contents de refuser la part qu’ils recevaient en héritage, refusant de voir qu’existait déjà ce qu’ils se proposaient de créer - c’est-à-dire le monde moderne, instituèrent à l’état de conservateurs tous les architectes qui refusaient de rallier leurs rangs.En nommant ou plutôt en inventant un mot pour parler de l’architecture sous un aspect général, on ne fait que la déposer dans le champ clos du concept. On croit parler d’architecture, or on polémique sur le mot. On se prend même à rêver de faire la chose quand on ne parle que du mot, et au mot, avec ce vieux paillard d’abbé de Latteignant, nous préférons la chose…Nous sommes incapables de voir l’architecture à travers cet oculus de rhéteurs et idéologues de mansardes, lesquels n’ont d’autre espoir que de s’approprier, en la surcodant de leur nominalisme creux, la belle et complexe production des architectes d’aujourd’hui et de jadis. Voilà qui introduit cette rubrique “Architectures” des Épées, laquelle sera, vous l’aurez compris, plus tournée vers la chose, l’architecture en tant qu’acte, que vers le mot en tant que concept. Car en la matière, ce dernier ne sert que le critique, souvent moins soucieux d’éclairer le lecteur que de paraître lui-même intelligent et cultivé.

 
Eric Arnodin
 

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