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N°5 - Entretien Michel Mohrt

Gustave Thibon considérait que la poésie de Maurras possédait « cinq ou six cents vers immortels ». Pour aborder cet aspect trop méconnu, nous avons rencontré Michel Mohrt, membre de l'Académie française. À son bureau, aux éditions Gallimard, le romancier nous récite avec enthousiasme des dizaines de vers de Maurras, tirés de La Musique Intérieure, Au-devant de la nuit, ou de La Balance Intérieure.

Membre de l'Académie française, Michel Mohrt est l'auteur d'une dizaine de romans (Mon royaume pour un cheval, La campagne d'Italie, La prison maritime, La guerre civile). Attaché à l'Université de Yale, Michel Mohrt fut ensuite responsable du domaine anglo-saxon aux éditions Gallimard : c'est ainsi qu'il publia Faulkner, Kerouac, Robert Penn Warren. Dernier ouvrage paru : Jessica ou l’amour affranchi, Gallimard, 2002. À signaler aussi : Le paradoxe de l’ordre, essai sur l’œuvre de Michel Mohrt, de Marie Ferranti, Gallimartd, 2002.


Comment avez-vous découvert la poésie de Maurras ?

Je l'ai découverte très tôt parce que mon père faisait partie de l'Action française et avait dans sa bibliothèque de nombreux livres de Charles Maurras. Entre autres un recueil (La Musique Intérieure) où se trouve une poésie que je trouve très belle :

L'olive est au pressoir, la grappe dans la tonne,
Une rieuse enfant nous verse le muscat,
Le vent vif a cueilli la verveine et la menthe
Pour nous envelopper des charités du Sort.
AMI, nous raisonnons de l'humaine tourmente
Comme deux matelots qui reviennent au port.

C'est parmi les plus beaux poèmes que je connaisse. Maurras l'a dédié à son ami Eugène Marsan. Ces vers sont restés dans ma mémoire. Étudiant en droit à Rennes, alors que mon père avait quitté l'AF quand elle a été condamnée par l'Église (il était avant tout catholique pratiquant), j'ai fréquenté le bureau de l'AF à Rennes, dont le président de la section était le docteur La Panetier de Roisset. Il y avait dans ce bureau, non loin de la Faculté, des personnages savoureux : une vieille comtesse, un paysan. C'était peut-être déjà celui, en moi, qui était un romancier qui s'intéressait aux personnes présentes. J'ai même vendu l'AF, un dimanche matin, avec un ami (G. Darteney) dans plusieurs petits villages des environs de Rennes. Ceci dit, je n'ai jamais fait partie du mouvement. Non seulement le nom de Charles Maurras est l'un des premiers noms d'écrivains que j'ai connus, mais aussi l'un des premiers noms de poète. C'est, au fond, comme poète que je l'ai abordé. Et je pense d'ailleurs qu'il était d'abord poète. Puis j'ai lu plusieurs de ses livres : l'Enquête sur la monarchie, à laquelle je dois plusieurs de mes idées politiques, qui sont extrêmement justifiées aujourd'hui. Je suis déçu de voir qu'aucun commentaire des élections ne met en compte la démocratie et le suffrage universel. Or, l'élection qui vient de se produire me paraît typique des erreurs que le Suffrage universel peut commettre, une condamnation évidente de la démocratie telle qu'elle se pratique en France aujourd'hui.

Au moment où Maurras écrit Le Mystère d'Ulysse, les poètes contemporains s'appellent Breton, Valéry, T.S. Eliot en Angleterre. Comment interprétez-vous la distance de Maurras avec ce que l'on a appelé la modernité poétique ?

Les Surréalistes venaient en partie de Mallarmé, sur qui Maurras est sévère, peut-être trop. Il se rattacherait plutôt à certains poètes du XVIIe siècle, comme Du Bellay et Ronsard, c'est-à-dire à la tradition de la Renaissance. Certains de ses poèmes comme "Le Mystère d'Ulysse" prolongent cette tradition. Il laisse de côté ceux que Verlaine a révélés avec les "poètes maudits", comme Tristan Corbière. Il n'est pas de la famille de Maurras. Mais il y a plusieurs demeures dans la maison du père.

En poésie, au fond, je me suis arrêté à Apollinaire, ou à Cocteau. Je pense que la poésie doit être amie de la mémoire, doit garder des rimes, des rythmes, peut-être même se couler dans des formes très précises ou contraignantes comme la ballade ou le sonnet, et c'est pourquoi, pour moi, le plus grand poète français est probablement Baudelaire. Maurras conteste violemment Mallarmé (dans La Balance Intérieure), il critique cette poésie qui pour faire de la poésie pure a complètement détruit la poésie. D'après moi, la Poésie devrait être entièrement dans la mémoire, on ne devrait pas avoir besoin de livres. Maurras a appartenu à l'École Romane, et il doit beaucoup à Moréas. C'est donc une poésie classique. Par certains de ses thèmes (il n'hésite pas à mettre dans ses vers des idées politiques et philosophiques), il me rappelle quelquefois Vigny. Cela dit, les poésies de lui que j'aime le mieux sont des vers légers comme ceux-ci :

De Saint-Louis en l'Ile
Le clocher à jour,
Offre à la grand'ville
Les roses du jour.

Jean Prévost écrit dans la NRF en 1925 (à propos de La Musique Intérieure) qu'il ressent « de la sympathie pour l'homme en même temps que pour la poésie ». êtes-vous surpris par ce jugement ? Et quelle est en effet la part autobiographique de la poésie de Maurras ?

Je suis d'accord avec ce jugement, et je le trouve très juste. Il y a des poèmes qui touchent probablement à la vie privée de Maurras, absolument inconnue. Maurras est un homme qui a dû connaître des amours, connaître des femmes :

Une liqueur à l'écorce d'orange,
Du cœur, des yeux, des fraises, du satin,
Les vis-à-vis du démon et de l'ange
Auront tenu jusqu'au premier matin.
L'aube traînant (alors que rien ne change !)
Furent scellés les chevaux du Destin :
Purs de reproches et surtout de louange.
On a ravi convives et festin.

Voilà une poésie de lui qui me parle beaucoup car je devine une effusion personnelle chez un homme qui apparaissait, par sa surdité, en dehors du monde, ne pensant qu'à la politique, etc., mais qui a dû avoir une vie privée comme le suggère ce poème.

Avez-vous rencontré Maurras ?

Je l'ai seulement vu lorsqu'il était de passage à Hyères pour une séance de signature, en 1938. Je l'ai vu de près mais n'ai jamais pu lui parler, ce que je regrette. Je pense que c'est un grand écrivain, et que son œuvre restera. Il a influencé toute une génération, notamment tous les Hussards. Son influence, chez moi, était une tradition familiale. En 1943, j'ai publié Les intellectuels devant la défaite de 1870. J'avais consacré un chapitre à Gobineau, qui avait eu un réflexe intéressant face à la défaite de 1870. J'étais venu à Vichy, où j'avais rencontré Henri Massis, qui dirigeait La Revue Universelle. Il m'a proposé d'y publier le chapitre sur Gobineau. Et je me disais : qu'est-ce que Maurras (qui n'aime pas Gobineau, et qui l'appelle un « Rousseau gentillâtre »), va penser de ce texte qui constate le déclin français ? J'ai été supris et touché de lire dans L'Action française un article où Maurras reprenait ce texte en disant à peu près : Michel Mohrt qui nous connaît bien, et qui sait que j'ai traité Gobineau de « Rousseau gentillâtre », etc. J'en fus très heureux.

Pensez-vous comme Maurras que « les poètes sacrés [sont] pères de tous les sages » ("Le Mystère d'Ulysse”) ?

Je pense que oui. Mais je me réserve le droit d'aimer des poètes plus "modernes", jusqu'à Apollinaire. Cela dit, on trouve chez Maurras des poèmes qui annoncent des poèmes plus récents. Et il y en a un que je trouve admirable, où il évoque les amants de Venise. Il met curieusement Musset assez haut dans la poésie. Dieu sait pourtant si Maurras a attaqué le romantisme. Mais je crois qu'il y a des poésies qui vous touchent dans la vie, selon l'âge. Musset est un poète pour la jeunesse. « Venise la rouge », je trouvais extraordinaire cette poésie quand j'avais dix-sept ans ! Il y a chez Hugo des vers qui me touchent plus qu'aucun autre. En même temps, je vois bien la critique que l'on peut en faire. Il y a enfin quelque chose qui m'a ému aux larmes, chez Maurras, c'est la "Prière de la fin" ; il l'a écrite alors qu'il était en prison et qu'il allait mourir :

Seigneur, endormez-moi dans votre paix certaine
Entre les bras de l'Espérance et de l'Amour.
Ce vieux cœur de soldat n'a point connu la haine
Et pour vos seuls vrais biens a battu sans retour.

Poème qui annonce ses dernières paroles : « Pour la première fois, j'entend quelqu'un venir ».
Propos recueillis par Antoine Clapas et Pierre Lafarge
 

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