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  • Conférence le mardi 24 juin 20h

    623519051.jpgMai 68 - Au delà de la commémoration à quoi bon encore en parler ?

     

    La conférence a réuni une soixantaine de personne par une soirée très chaude où la fraîcheur de la salle a été fort appréciée. Jean-Pierre Le Goff et Gérard Leclerc nous ont fait partager leur vision dépassionnée de mai 68 en les replaçant intelligemment dans leur contexte tant politique, économique, "sociétal", que spirituel forts de leur expérience de sociologue pour l'un et de journaliste pour l'autre. On ne saurai que vous encourager à écouter cette conférence-débat (2 heures mais on ne s'est pas ennuyé !) à laquelle Stéphane Courtois, qui était dans la salle, a apporté sa petite pierre par une courte intervention.

     

     
    podcast

     

     

    Mardi 24 juin à 20h

    Salle Pierre Nicole
    9 rue Pierre Nicole - 75005 PARIS
    Entrée libre

                 

     

    Mai 68 

    Au delà de la commémoration à quoi bon encore en parler ?

     


    Débat entre Gérard Leclerc 

    et Jean-Pierre Le Goff

     


     

     


    Jean-Pierre Le Goff, philosophe de formation, est sociologue.
    Il préside le club Politique Autrement, qui explore les conditions d'un renouveau de la démocratie dans les sociétés développées.

    Bibliographie :

        * Le mythe de l'entreprise.Critique de l'idéologie managériale, La Découverte, Paris, 1992 réédité en 1995
        * Les illusions du management - Pour le retour du bon sens, La Découverte, Paris, 1996 réédité en 2000 ISBN 2-7071-3319-1
        * Le tournant de Décembre, avec Alain Caillé, La Découverte, Paris, 1996
        * Mai 68 : l'héritage impossible, La Découverte, Paris, 1998 réédité en 2002 et 2006, ISBN 2-7071-3654-9
        * La barbarie douce, La Découverte, Paris, 1999 réédité en 2003, ISBN 2-7071-3032-X
        * La démocratie post-totalitaire, La Découverte, Paris, 2002 réédité en 2003, ISBN 2-7071-3618-2
        * La France morcelée, Gallimard, Paris, 2008




    Gérard Leclerc dont la famille est d'origine flamande (région lilloise) est né à Hirson dans l'Aisne le 14 juin 1942. Il fit ses études secondaires à Soissons, puis après un service militaire à la coopération en Haute-Volta, poursuivit des études en théologie et en philosophie à Paris. Pris dans la tourmente de Mai 68, il s'engage dans une carrière de journaliste, spécialement vouée à la critique des idées.
    A ses débuts, il rencontrera des penseurs comme Gabriel Marcel, Pierre Boutang et Maurice Clavel qui auront une influence déterminante sur lui.

     Bibliographie :

        * Un Autre Maurras, Paris, Institut de politique nationale, 1974.
        * Avec Bernanos, Paris, Albin Michel, 1982.
        * La Bataille de l'école : 15 siècles d'histoire, 3 ans de combat, Paris, Denoël, 1985.
        * L'Église catholique (1962-1986). Crise et renouveau, Paris, Denoël, 1986.
        * Jean-Paul II. Le résistant, Paris, Bartillat, 1996.
        * Pourquoi veut-on tuer l'Église ?, Paris, Fayard, 1996.
        * Le pape et la France, Paris, Bartillat, 1997.
        * Saint Paul, Paris, Pygmalion, 1997.
        * Portrait de monsieur Guitton, Paris, Bartillat, 1999.
        * L'amour en morceaux ?, Paris, Presses de la Renaissance, 2000.
        * Le bricolage religieux, Monaco/Paris, Éditions du Rocher, 2002.
        * Les dossiers brûlants de l'Église. Au soir de la vie de Jean-Paul II, Paris, Presses de la Renaissance, 2002.

     

  • N°6 - Entretien avec Gérard Leclerc

    Dans les décombres du romantisme
    Entretien avec Gérard Leclerc

    Gérard Leclerc est éditorialiste à France Catholique. Écrivain, il a notamment publié : Jean Paul II, le résistant (1996), Portrait de M. Guitton (1998), L'amour en morceaux (2000) et Le bricolage religieux (2002).

    Il semble que l'on n’ait jamais autant parlé de l'amour mais que son sens n'ait jamais été aussi équivoque. Quel regard portez-vous sur l'amour aujourd'hui ?

    Je partirai d'un constat qui est de plus en plus dans les médias, c'est celui d'un amour cassé et plus grave, cassé dans la tête des enfants. Curieusement c'est le quotidien Libération qui a jeté un cri d'alarme en disant que de plus en plus d'enfants, dès dix ans, regardent des films pornographiques. On commence à se rendre compte que la pornographie n'est pas neutre, comme le disait Claudel, « on ne compose pas avec le mal parce que le mal décompose ». Il décompose en particulier les plus fragiles, car donner dès le départ une image bafouée, violée, de l'amour humain, c'est destructurer profondément des enfants qui vont se débattre jusqu'au bout de leur vie pour se construire eux-mêmes, c'est déstabiliser la société future. Le lien entre la libération sexuelle et les tournantes est indéniable. Qu'un journal comme Libération jette un cri d'alarme est un signe parce que, précisément, ce journal a exalté tous les thèmes de la révolution sexuelle.

    Dans L'amour en morceaux, quelle a été votre démarche pour trouver les racines de l'actuelle crise de l'amour ?

    L'amour humain était semble-t-il parasité par des illusions qui en dénaturaient le sens et qui établissaient un couple étrange entre l'amour et la mort. Cela me renvoyait à la question « qu'est-ce que c'est qu'aimer ? » Pour répondre, nous disposons d'un champ immense qu'est la littérature, qui sans l'amour humain serait réduite à peu de chose. Notamment dans l'univers du roman européen apparaissent précisément l'amour et ses pathologies. J'ai fait le choix de deux romans du XVIIIe pour essayer de comprendre la rupture moderne, La nouvelle Héloïse de Jean Jacques Rousseau et Les souffrances du jeune Werther de Goethe. Je me suis rendu compte qu'entre l'avènement de la modernité et les pathologies contemporaines de l'amour, il y a un lien extrêmement étroit. Ce n'est pas un hasard si ces romans de l'amour sont des romans de l'échec qui consacrent l'impossibilité de l'amour. Comme le dit Aragon « il n'y a pas d'amour heureux », c'est le constat des modernes. L'amour est impossible en ce monde, donc on le transpose dans un au-delà mythique : Werther se suicide, Julie, l'héroïne de La nouvelle Héloïse meurt noyée et sa mort est aussi significative d'un amour qui ne peut pas s'accomplir ici-bas. Tout le romantisme va s'inscrire dans la même logique d'un amour impossible parce qu'il est aux prises avec sa propre pathologie : la passion. La passion est destructrice et mène à la mort et cela s'explique parce que comme disait Maurras à propos de Musset et de Sand « Ont-ils aimé ? Ont-ils vraiment aimé ? ». Je ne crois pas, parce que leur amour était fondamentalement destructeur et ne permettait pas la construction d'un "nous" et le prolongement de ce “vivre ensemble” dans la fondation de la société. Pour examiner cette logique de mort, je reprends Rougemont et Girard, en montrant que la mimesis girardienne, avec ce caractère triangulaire du désir qui fait qu'on fixe son désir sur celui d'un rival, explique l'insatiabilité de la passion destructrice. Rougemont a fait le parallèle avec l'univers Cathare, parce qu'il y a un refus commun des limites humaines. L'amour ne peut s'épanouir que dans un monde mythique qui est au-delà de notre propre amour et cela aboutit à une condamnation même de l'amour dans sa finitude, par une diabolisation de l'amour dans la chair et sa fécondité. Alors que dans l'amour chrétien il y a une béatification de la chair qui est bienheureuse comme l'a montré Michel Henry, parce qu'elle reproduit la vie. Ce romantisme aboutit inévitablement au nihilisme ; l'absolutisation du désir individuel de bien-être, devenant une volonté de puissance destructrice qui fait perdre à l'homme la mesure du réel et le sens des choses. De cette haine d'une réalité bornée, on arrive logiquement à la haine de ce qui peut contraindre l'amour, et principalement sa condition fondamentale, la différence sexuelle d'où se déduit la complémentarité homme-femme.

     Que reste t-il ensuite de l'amour ?

    On en revient à l'amour cassé. Les ouvrages de Michel Houellebecq constituent une grande parabole de cet écroulement d'un monde et de la responsabilité de la révolution sexuelle dans la dissolution sociale et le désamour. On en reste au constat que l'amour humain est détruit et, qu’à force d'obsession du sexe, on a tué le sexe, et on y a perdu notamment le sens de l'amour et de la relation qui précède tout rapport sexuel. Lacan disait d'ailleurs qu'il n'y a pas de rapport sexuel ; il avait parfaitement raison, il y a de l'amitié, de l'amour mais pas à proprement parler de rapport sexuel, c'est l'amour qui met les gens en rapport et la sexualité prend seulement sens dans cette relation profonde. Sans faire d'idéalisme, la sexualité est partie prenante de l'amour humain et de ce point de vue-là on pourrait prendre un philosophe comme Michel Henry pour restituer à la chair toute sa signification forte, mais le rapport sexuel déconnecté de la chair, c'est à dire de la totalité de l'être, de l'individu et de la personne, ça n'a plus de sens et tout disparaît. C'est la logique de l'individualisme qui tue l'individu, c'est la logique du plaisir qui tue le plaisir et, par delà, qui tue le sens même des choses de la vie en société. Cela on s'en aperçoit dans un processus cumulatif qui fait que l'on passe de la dévaluation de cette relation fondamentale structurante qu'est la différence sexuelle, à l'exaltation de différentes formes d'homosexualité où on met à égalité toutes les pratiques sexuelles sans comprendre précisément que les pratiques sexuelles ne signifient rien en dehors des relations fondamentales qui leur donnent sens. De là, on passe à l'exaltation du Queer, ce règne intermédiaire de l'étrange, à l'encontre de ce qui fait sens dans la conception judéo-chrétienne : la création comme séparation. Le Pape Jean Paul II, qui a réfléchi depuis toujours sur l'amour humain a justement été frappé par cette phrase de la Genèse (1,27) « Dieu créa l'homme à son image, à l'image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa ». La création à la ressemblance de Dieu est associée directement à la création de la différence sexuelle. L'image de Dieu s'imprime notamment dans la nature humaine au travers de la séparation des sexes qui donne sens à l'humanité. S'il peut y avoir un amour humain, c'est justement parce qu’au travers de cette différence sexuelle, Dieu a imprimé son image d'amour dans la réalité humaine. Nous avons affaire ici à une réalité d'une grandeur singulière mais que notre modernité s'acharne à détruire. Tout cela n'est pas une simple spéculation intellectuelle mais retentit dans la vie sociale, parce que l'amour en morceaux, c'est la dissolution des couples, c'est la souffrance des enfants, c'est la violence sociale des quartiers.

     Une conception fausse de l'amour ébranle donc jusqu'à l'ordre social ?

    Le lien social repose sur cette différence fondatrice qui est le point de départ de toute l'histoire humaine comme l'a montré le Père Gaston Fessard. Le rapport social fondamental n'est pas la relation du maître à son esclave de Hegel ou de Marx, mais la relation amoureuse fondée sur la différence sexuelle à partir duquel toute l'arborescence de l'histoire va se constituer. À partir de la filiation, mais aussi de cette réalité importante qu'est la prohibition de l'inceste qui va produire un processus de fraternisation qui doit être déconnecté de l'amour génésique pour produire le lien social.

    Vouloir effacer le principe de la différence sexuelle comme fondatrice du lien social est une erreur anthropologique fondamentale. Cela aboutit à effacer des notions aussi essentielles que paternité, maternité, filiation, qui sont les marques les plus structurantes du corps social et qui permettent comme le dit Pierre Legendre, le processus d'humanisation. Il y a une articulation naturelle entre l'amour qui est le point de départ de la génération humaine et ce qui crée le lien social, ce qui fait que l'amour nous renvoie à la loi. On ne peut séparer l'un et l'autre. Il y a dans l'amour humain quelque chose qui aspire à s'instituer, parce que la vie civilisée passe par l'institution de la vie précisément. Quand l'amour n'aboutit pas à l'institution de la vie, on tombe dans l'anomie et le processus d'humanisation ne peut plus se faire. L'amour chrétien institutionnalisé et fondé sur la liberté des consentements est devenu le pivot même de la vie sociale. Le mariage est forcément pris en compte par l'État comme noyau de la société. Auparavant l'Église était la garante de cette institutionnalisation de l'amour mais dans une société laïque c'est à l'État de reprendre ce rôle-là. C'est une fonction nécessaire, l'État doit être garant de cette institution de la vie, c'est la mission du politique, et s'il n'y a pas cette garance, l'humanité est mise au péril d'elle-même. À partir d'une réflexion sur l'amour s'offre une entrée royale dans la politique au plus noble sens du terme. Ce qui nous place devant la nécessité de ne pas se tromper en ce qui concerne l'amour, sinon les conséquences sont gravissimes, c'est la pérennité de l'humanité, toute la vie sociale, l'histoire même qui est en cause.

    Que dire à la génération sacrifiée par cette libération sexuelle qui n'a été qu'une aliénation de l'homme ?

    Il y a une difficulté fondamentale de l'amour moderne. C'est qu'il n'y a plus les formidables soutiens des sociétés holistes où les rôles étaient fixés par avance. Dans les sociétés modernes nous sommes abandonnés à notre propre fragilité et à la fragilité de l'autre. Tout le problème consiste en un pari : ces fragilités peuvent-elles être transcendées dans une promesse ? C'est tout le risque de la liberté et de l'amour. Gabriel Marcel et Paul Ricœur ont bien réfléchi à cette question. Il y a deux notions incluses dans la promesse, celle de parole donnée mais aussi la notion de projet commun qui fait que l'on a foi l'un en l'autre, mais que cette foi se traduit en un projet qui est toujours en devenir et va nous permettre de libérer notre propre liberté pour qu'elle ne soit plus adolescentrique, égotique, etc. L'amour, c'est construire ensemble une histoire. C'est sortir de soi-même et trouver la bonne distance par rapport à l'autre, c'est ce qui va permettre à l'autre d'exister tout en vous permettant d'exister, c'est ça le mystère de l'amour, formidable risque, et fragilité, mais formidable chance. C'est l'appel de l'amour engagement qui ne va pas sans l'alliance et la promesse biblique. Tandis que nos individualismes modernes sont des individualismes faibles dans la mesure où ce sont des fantômes qui se cherchent eux-mêmes et qui n'ont pas l'audace de l'alliance. L'amour humain est un risque à un prix très élevé mais n'en vaut-il pas la peine ?

    Propos recueillis par Alain Raison.