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  • N°18 - L'empire de la mélancolie

    Par Philippe Mesnard
     
    Puissance de la ruine, amer plaisir de la lucidité, renoncement fataliste à l’avenir, déjà pollué par les rêves inaboutis des totalitarismes triomphants, des utopies mortifères : la Mélancolie est-elle en soi une dénonciation du présent ? Ou peut-on se borner à la goûter comme un plaisir aigu et dangereux ? La mélancolie apparaît comme un goût, un sentiment, un symptôme, une inclination idéologique,  religion. Son empire menace.
     
    Le Grand Palais a manqué accueillir une ville chinoise complète pour la Nuit blanche 2005. Tout était prêt, mais au dernier moment le ministère de la Culture et la Ville de Paris se sont fâchés. Adieu la lente déambulation dans les faubourgs reconstitués de Pékin, dans la vapeur et la fumée des étals des “marchands de bouche”. Depuis, le Palais a accueilli une soirée du Téléthon, avec des vedettes (un jongleur crachait puis rattrapait puis recrachait des balles de ping-pong, jusqu’à quatre à la fois. Il jongla aussi avec des assiettes, mais avec les mains) et une fête foraine complète, avec des manèges électriques et de la guimauve. Ce lieu revivait, quoi.
    Juste à côté, en contrepoint, Mélancolie - génie et folie en Occident rencontrait un extraordinaire succès public et une faveur critique tout aussi extraordinaire dans l’abondance des articles, les éloges presque excessifs ou les condamnations sans appel. Jean Clair, qui dirige pourtant le musée Picasso, fut même assimilé aux nouveaux réactionnaires tant son projet parut (en partie en raison de son succès) crépusculaire, maussade, inquiet, lourd, enfin, de sous-entendus forcément malsains sur la modernité triomphante, le culte du progrès, le festivisme obligatoire (surtout à Paris). Il s’agissait en effet de parler intelligemment d’un thème plutôt que de célébrer sans frein un Artiste. L’intelligence est toujours suspecte en ces temps radieux de pensée unique. Mais ce n’est pas ce débat qui nous intéresse, et la matière est trop riche pour n’en avoir qu’une approche idéologique.
     
    Un thème pour notre temps
     
    Ce thème de la mélancolie traverse les âges, au moins dans notre culture occidentale, et c’est proprement cette universalité qui a suscité l’exposition, sous l’angle de l’histoire des “idées” : qu’un tel sentiment, accentué jusqu’à la dépression et exaspéré jusqu’à la folie, unisse les premiers Grecs et les derniers Européens (Ajax et Chirac, en gros), plus sûrement que le souci du Bien commun ou l’immortalité de l’âme, voilà qui est fascinant.
    Que le xxe siècle nous ait donné quelques raisons d’être pessimistes quant à l’avenir, la chose est claire. Il nous aura sûrement donné le goût d’aller chercher plus loin dans le temps, au delà des messianiques xviiie siècles européens (l’exposition se veut internationale), des raisons de vivre et d’espérer - ou des raisons d’être dégoûtés. Nous sommes passés de Saturne à Uranus, notre tristesse ne peut plus être domptée, elle nous a fait verser dans la folie. Entraînés par des énergies qu’on n’a plus la force de dompter mais auxquelles au contraire on s’abandonne sans frein. L’âme mélancolique se contemple elle-même, et le monde tel que sa sombre fantaisie l’a transformé ; c’est sa mort qu’elle aperçoit partout, dans un monde qui va vivre et où elle n’a pas sa place. Immortalité insupportable ou mort trop assurée, tout n’est que douleur, contrainte, fuite impossible.
     
    Malades ?
     
    Cette exposition est d’abord et avant tout un art de la référence, un art intellectuel : rien ne peut s’apprécier sans la référence à Durer (ex. : Melancolia 1514-2003, de Claudio Parmiggiani), et chaque artiste entend très clairement se situer dans une lignée, comme chaque exégète ne veut voir qu’une continuité, faite de transformations, de modulations, certes, mais jamais de ruptures. A fortiori, les descriptions cliniques de la mélancolie sous ses différents noms ne s’apprécie que dans leur évolution.
    Tout est réévalué en fonction de ce thème, et son domaine ne cesse de s’étendre au gré de l’analyse et du culte que lui rendent ses exégètes, ses esthètes, ses confidents, ceux qui la goûtent. Le thème contamine, envahit. Depuis le chagrin, la déploration, la fureur, l’accablement et la méditation grecs, en passant par la morosité, la morne contemplation, le portrait désabusé (comme signe de la sagesse ou de l’intelligence) de l’âge moderne ou classique, jusqu’aux visions cauchemardesques des xixe et xxe siècles, le chemin est long. Chemin aussi entre le malade et l’artiste, entre l’esprit perdu et l’âme troublée.
    Mais personne ne confond Génie et Folie, on les y juxtapose, on essaye de trouver le point de contact. Le dialogue est fécond (et la confusion ne serait pas un travers contemporain). Humeur sombre dont se délecte l’homme sensible, prélude à sa création ou à son divertissement, aussi bien que maladie de l’âme, acédie anesthésiante du moine, psychose maniaco-dépressive du contemporain, la mélancolie est un “champ”.
    Les deux contributions les plus justes me paraissent, à cet égard, celles d’Hersant (qui a fait paraître dans la collection Bouquins un recueil dédié à la mélancolie) et de Fumaroli, l’un pour le Moyen-Âge et la Renaissance, l’autre pour la France classique : l’équilibre entre folie, élan créatif, morbidité, etc., y est merveilleusement décrit, et tous les “moyens” de ces deux “extrêmes”, que sont Génie et Folie sont parcourus.
    Cela dit, tout l’intérêt de l’exercice de l’exposition thématique vient bien sûr de la richesse des champs traversés, et l’apport clinique est indéniable. Il faudrait tout citer, tant la description médicale (qu’il s’agisse de la très fine psychologie médiévale ou de l’approche scientifique et descriptive du xixe) est éclairante : le délire des négations, « cette étrange hypocondrie qui conduit le sujet à nier son nom, ses parents, son âge, ses organes, jusqu’à nier son existence propre, et jusqu’au monde extérieur dans son ensemble » (Jean Clair parlant du délire de Cotard). Ainsi dépourvu de toute substance, le malade se croit immortel. Ce délire « d’immortalité mélancolique » est évidemment une profonde horreur, une douleur atroce.
    Il est symptomatique que de l’artiste saturnien on dérive peu à peu jusqu’au malade ayant donné une expression artistique à son mal-être, que le territoire de la mélancolie cultivée, culturelle, s’augmente de toutes les monographies psychiatriques, et qu’on finisse, à l’orée du xxie siècle, par confondre dans une même fascination Dürer et Nebreda (terribles, terrifiants, fascinants autoportraits mutilés et sanglants) : notre monde tout entier s’écroule (dans la sensation exténuante d’une chute sans fin vers une “société” toujours plus amorale : « de l’enfer il ne sort / que l’éternelle soif d’une impossible mort »), et les élégants symptômes d’un sentiment qu’on cultive pour mieux le domestiquer, le brider, l’annuler, font place aux affirmations sans fards d’une déréliction, d’un abandon, d’une acédie irrémédiable (Yves Bonnefoy). Glissement déjà médiéval entre le péché et la maladie, entre l’acédie et la mélancolie, entre le morose et le triste, entre l’humeur noire et le corrompu.
    Parcourir physiquement l’exposition a un sens que la lecture du catalogue ne peut qu’imparfaitement rendre, se confronter physiquement aux œuvres a une portée que leur reproduction ne peut qu’imparfaitement recréer. Il nous faut nous aussi traverser la mélancolie.
     
    « Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique » (2)
     
    Parcourir l’exposition et lire son catalogue sont deux expériences complémentaires. Au bout du compte, on en ressort bizarrement réconforté. D’abord par l’intelligence du projet, tout à la fois « enquête iconographique, exposition thématique, histoire des idées » (Jean Clair), qui restaure la culture dans sa dimension encyclopédique - et donc de partage, qui restaure l’intelligence dans sa dimension d’analyse - et donc de dialogue, et qui restaure le discours sur les mœurs comme exercice intellectuel, ce qui est quand même la meilleure façon de ne pas laisser chacun croire qu’il est seul au monde.
    Ensuite parce qu’il doit en ressortir clairement, pour la plupart, que nous ne sommes pas fous, et que notre vague à l’âme a des précédents tout en restant heureusement contenu dans des expressions normales, et partagées. Des formules heureuses comme « perversion de la volonté qui veut l’objet mais non la voie qui y conduit, et qui tout à la fois désire et barre la route à son désir » (G. Agamben cité par Y. Hersant), ou encore « même dégoût, chez le mélancolique et l’acédieux, d’une vie que déjà la mort saisit ; même sentiment d’écroulement, d’écoulement et d’abandon, tandis que le moi se vide et (comme le dira la psychanalyse) s’identifie à un objet perdu ; même délirante prolixité, ou même réclusion dans le silence », abondent au fil des textes.
    Enfin parce qu’il se dégage un plaisir ironique à se dire que ce vaste commentaire peut être interprété comme une logomachie folle, symptôme même de la mélancolie médiévale (« evagatio mentis, fuite de l’âme en avant, course inquiète de rêverie en rêverie qui se traduit par la verbositas, verbiage proliférant vainement sur lui-même, par la curiositas, soif insatiable de voir pour voir qui se perd en possibilités toujours renouvelées… » G. Agamben cité par Y. Hersant).
     
    Exténués, lucides, désabusés ?
     
    Peut-être ne faut-il pas, comme les Modernes, laisser le médical dévorer le psychologique et ne parler de notre mélancolique attitude, à l’heure où tout sombre, que comme d’une défaite ou d’un renoncement, de l’expression d’une sensibilité maladive, mais au contraire y voir « ce qui se passe de plus délicat dans la vie spirituelle » : après tout, il n’est pas si évident de vouloir à la fois appartenir au Royaume qui n’est pas de ce monde et faire renaître le Royaume d’ici-bas. Sommes-nous si paresseux ? (paresse, pigritia, autre attribut mélancolique) Ou sommes-nous pensifs devant le labeur à entreprendre et surtout sa légitimité à cette échelle ? Le besoin de l’infini sans les moyens pour y parvenir, peut-être même la nostalgie d’un infini entr’aperçu mais désormais inatteignable ou au prix d’un effort qu’une nature épuisée ne peut entreprendre, qu’elle conçoit comme définitivement étrangère à sa nature. Comment ne pas être mélancolique ? « Pour nous, elle n’est ni un péché, ni une maladie des hypocondres ; elle est un état d’esprit que nous a imposé le destin. » (A. Huxley).
    Il y a une réponse classique. Celui qui médite sur les fins dernières en contemplant des vanités y voit sa propre mort, assurément, mais y tire la force de vivre pour autre chose que lui-même, la vanité « l’invitant à méditer tristement mais avec calme le côté nocturne et fugace de la chair et de la vie terrestre » (Marc Fumaroli). Mettre un peu de distance (ou une distance telle) entre soi et le malheur plutôt que de céder à la tentation de s’y abîmer.


    Philippe Mesnard

     
     
    + Mélancolie. Génie et folie en Occident.
    Galeries nationales du Grand Palais, 13 octobre - 16 janvier 2006.
    Le catalogue, abondant, s’attache moins à montrer chaque œuvre exposé qu’à donner les éclairages les plus complets et les plus divers sur la Mélancolie à travers les âges. C’est une somme indispensable.
    (1). Mon amour végétal croîtrait / Plus vaste et lent que les empires
    A. Marvell, To his coy mistress. A sa maîtresse prude.
    (2). J’aime le jeu, l’amour, les livres, la musique, / La ville et la campagne, enfin tout ; il n’est rien / Qui ne me soit souverain bien, / Jusqu’au sombre plaisir d’un cœur mélancolique. (La Fontaine).
     

     

  • N°18 - Vive le baroque

    Par Inès Villela-Petit
     
    Rome, Gênes et Turin, Naples et Palerme ; Madrid, Salamanque, Séville ; Lisbonne, Porto et Braga ; Dresde, Munich, Bayreuth ; Vienne, Salzbourg, Prague et Saint-Pétersbourg… de l’orée du xviie siècle jusqu’au milieu du suivant, l’Europe entière se couvre de monuments baroques qui modèlent aujourd’hui encore la physionomie de ses plus belles villes. L’Europe entière ? Non, nous disait jadis le « Lagarde et Michard », un royaume résiste : la France...
     
    Qu’est-ce que le baroque ?
     
    Mais d’abord, qu’est-ce donc que le Baroque ? Un art d’invention formelle débridée, rappelle Yves Bottineau dans son volumineux L’art baroque, un art dynamique, y compris en ses architectures, un art des contrastes lumineux, prodigue dans le décor et l’ornement, les perspectives vertigineuses et le trompe-l’œil, alliant le réalisme aux effets scéniques avec force nuages, conques marines et angelots joufflus, mais aussi un art solennel et majestueux propre à exalter la foi catholique et le pouvoir royal. L’auteur débute par une mise au point sémantique qui taille en pièces quelques idées trop simples pour être honnêtes : « le baroque, nuance du bizarre » disait-on d’un ton moqueur dès la fin du xviiie siècle, opposé à la mesure, à la rationalité et au bon goût français, diront d’autres… Le Baroque est d’abord l’incarnation esthétique de la Contre-Réforme catholique post-tridentine et Rome, tout naturellement, son premier et principal foyer. Il est l’expression de la grandeur pontificale retrouvée, d’un catholicisme rasséréné qui part à la reconquête spirituelle des terres perdues. Face au luthéranisme, en Souabe, Franconie, Suisse alémanique, les églises de pèlerinages et les monastères se multiplient, dont le programme architectural et décoratif est une proclamation de catholicité autant qu’un instrument de la prédication. Catholique et romain d’abord, l’art baroque se révèle par la suite parfaitement compatible avec la Russie des tsars et s’adapte aux églises orthodoxes dont les architectes, au demeurant, seront souvent Italiens. Les seules contrées à rester vraiment hors de cette esthétique sont celles du protestantisme puritain : l’Angleterre, passé le règne de Charles Ier, et les Provinces-Unies (Pays-Bas) essentiellement ; les principautés luthériennes d’Allemagne s’y montrant quant à elles beaucoup plus perméables.
    Qu’en est-il alors de la France et de son « classicisme » ? Le royaume du Très Chrétien fait-il vraiment exception dans le concert baroque ? Le cas de la France de Louis XIV reste en effet particulier : le baroque, quand baroque il y a, y est généralement atténué si on le compare à ses versions romaines ou germaniques. Pourtant, à y regarder de plus près, comme l’auteur y invite, la France aussi fut baroque à sa manière, qui chez nous s’appelle plutôt… classicisme. Le char du soleil surgissant du bassin d’Apollon à Versailles est, malgré qu’on en ait, d’un effet pleinement baroque, et dans les jardins la statue de L’hiver de Girardon, dont Bottineau lui-même veut pourtant faire une illustration de l’esprit classique…, ne l’est guère moins ! Les contraires étrangement se confondent. Il est bien difficile de « déduire des catégories d’une réalité mouvante qui se joue d’elles… » reconnaît l’auteur. C’est sans doute que le baroque subit ici la concurrence d’autres courants, souvent soutenus par les membres de l’Académie nouvellement fondée : le classicisme bien sûr, mais aussi un qu’il ne cite pas et qui pourtant prendra le pas sur les autres dès le début du xviiie siècle, à savoir l’esthétique des Précieuses et de leurs salons qui, à bien des égards, préfigure déjà le « rocaille ». L’antinomie habituelle paraît de plus quelque peu forcée. En peinture, par exemple, il serait plus juste de relever les influences croisées de l’italianisme de Simon Vouet et de l’atticisme de Poussin qui ne sont pas complètement superposables au baroque et au classicisme. Et il ne faut pas oublier que le Poussin, modèle absolu des tenants du classicisme à la française, ne se trouva bien qu’à Rome où il vécut l’essentiel de sa vie… Toujours est-il qu’au terme d’une longue querelle de théoriciens les Rubénistes, et avec eux une certaine liberté baroque, allaient l’emporter sur les Poussinistes.
     
    La revanche des Précieuses
     
    Dans la perspective qui est la sienne, Bottineau ne néglige pas non plus l’Angleterre et les Provinces-Unies protestantes, l’une largement gagnée au palladianisme inspiré des villas de Palladio en Vénétie et qu’on peut dire déjà néo-classique, les autres fidèles à la tradition réaliste. Le brevet de « classicisme » accordé par l’auteur à des artistes tels que Rembrandt ou Vermeer semble toutefois abusif voire déplacé. Le cadre conceptuel vole ici aussi en éclats, et il faudrait au moins ajouter aux tendances précitées celle du « réalisme » d’ascendance flamande, un réalisme spiritualisé ou poétisé… mais le concept ne peut guère subsumer le génie. L’ouvrage embrasse en tous cas un panorama plus large encore que ne le laisserait supposer le titre : c’est tout l’art européen de deux siècles, architecture, sculpture, peinture et arts décoratifs, qui défile sous nos yeux, jusqu’en ses extensions d’Amérique hispanique et lusitane. Pour ne citer que les architectes, on croise le Bernin et Borromini, Rastrelli, les frères Asam, Mansart, Le Vau et même Inigo Jones, et les religieux savants et artistes que furent le père Pozzo, Guarino Guarini ou Filippo Juvarra. Il est également question du rococo ou style rocaille diffusé à partir des années 1720 et dont l’auteur fait une étape de l’évolution du baroque. Par certains aspects cependant le xviiie siècle prend le contre-pied de celui-ci : au Grand Genre on préfère désormais la scène de genre, familière et sans prétention ; au grandiose, à l’impétuosité et aux rouges de Rubens succèdent la joliesse, le menu, l’intimisme, le pittoresque et les tons pastels, et c’est ici que l’on pourrait parler de la revanche des Précieuses ; de l’emblématique Louis XIV en pied en ses habits de sacre par Rigaud on passe au portrait en pastel de Marie Leczinska à mi-corps un fichu sur la tête par Quentin de la Tour. Bottineau voit dans l’inflexion rocaille l’expression de la paix relative et de la prospérité économique du xviiie siècle qui amènent une détente après le marasme et les guerres qui avaient marqué le siècle précédent. L’alacrité insouciante des tableaux d’un Boucher ou d’un Chardin ne sont pas pour le démentir. Après les accents de gravité du temps de Bossuet, les polissonneries des Lumières… Mais le rococo lui-aussi ne manque pas de chef-d’œuvres telle l’église des quatorze intercesseurs (Vierzehnheiligen sur le Main) et fait montre d’une inventivité et d’une virtuosité inégalées dans les arts décoratifs (marqueterie, bronzes d’ornement, carrosses, argenterie de table, porcelaine…). En termes d’ornement le partage entre baroque et rococo reste d’ailleurs difficile à établir, le second n’étant parfois qu’une version plus enchevêtrée du premier. La véritable coupure n’est pas avec le rocaille mais bien avec le néo-classicisme dont les partisans répudieront violemment la liberté du baroque au nom d’une pureté formelle qu’ils pensaient ne pouvoir trouver que dans un retour à l’Antique. Le choix d’une chronologie large permet en tous cas à l’auteur d’inclure dans son champ d’analyse les réalisations du baroque tardif qui, en Amérique latine notamment, fleurit jusqu’au début du xixe siècle. Sur fond de palmiers et d’azur parfait, les églises du Brésil aux murs blancs de chaux découpent leurs lignes échancrées en un baroque tropical qui n’est pas le moins séduisant.
     

    Inès Villela-Petit


     
    + Yves Bottineau, L’art baroque, Citadelles
    & Mazenod, 1986, rééd. 2005, 620 p., 1 100 ill., 199 n.