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  • N°11 - Le monde si simple des staliniens

    Par Jean Birnbaum
    Jean Birnbaum est agrégé d’histoire de l’art et photographe.

    Les Espagnols feront eux-mêmes le « tri sélectif » de ces lourdes années. Mais en attendant, bien malheureux celui qui perçoit dans quelque guerre civile que se soit, deux camps bien distincts : les gentils et les méchants. Et pourtant…

    Aucune perspective Le formidable travail des deux auteurs à la poursuite des multiples archives (archives privés, ouverture des fonds russes, etc.) aurait du permettre un éclairage nouveau sur ces images. L’hommage n’excluait pourtant pas la critique : approfondir l’instrumentalisation volontaire de l’image au service de la mobilisation internationale, avec ses réseaux de diffusion ; éclairer les enjeux géopolitiques et militaires du Komintern qui orchestre ces Brigades ; expliquer cette guerre civile dans la nouvelle stratégie antifasciste du Komintern. Chaque page mentionne pourtant le Komintern, ses commissaires politiques qui censurent l’information sur place, ses services de renseignements, ses journaux qu’il édite dans chaque Brigade, ses navires affrétés, ses épurations successives et ses exécutions - la plus célèbre restant celle des combattants du POUM(1). On aurait souhaité mieux appréhender cette aide, aussi bien quantitativement que qualitativement. Mais rien ne vient, rien ne sort qu’un énième livre de propagande sur les Brigades Internationales, avec la même vision binaire et stérile des événements. Quelle différence existe-t-il donc entre le livre de Michel Lefebvre et Rémi Skoutelsky et une de ces multiples brochures de propagande publiées pendant la guerre d’Espagne pour soutenir les républicains espagnols ? Aucune, excepté que nos deux auteurs n’ont même plus le prétexte du regard à chaud sur les événements, avec ce que cela induit d’approximation, de précipitation, de détournement, d’incompréhension politique sur les événements en cours. Ici, même manichéisme qu’en 1936, même instrumentalisation des images sur les registres de la sensibilisation (les enfants, les blessés), de l’humanisme(2) auto-proclamé - les hôpitaux, la solidarité internationale des hommes libres appuyée par les personnalités (Eroll Flynn, Duke Edington, Hemingway, Malraux, etc.). En définitive, thématique éculée de l’anti-fascisme envisagée comme un nouvel humanisme, habillée de notes artistiques (Ah ! Franck Capa) : le beau et le vrai uni contre le fascisme... Mais aussi belles soient-elles, les images de guerre ne sont pas anodines et nécessitent entre toutes un accompagnement précis et circonstancié : plus que des simples légendes ! Elles contiennent une force du fait même de leur sujet. Car, élément que l'auteur oublie d'analyser - même s'il le mentionne alègrement : la plupart des photographes sont en Espagne dans une véritable démarche de militant politique(3) : Capa, Chim, Walter Reuter, Turaï, ou les incontournables photo montages de John Heartfield. Ces photographies étaient d’abord envisagées par leurs auteurs comme des instruments de mobilisation, pour « émouvoir l’opinion internationale » - procédé désormais très en vogue. Leur étude aurait donc mérité une analyse serrée. D'autant plus quand l'exposition est co-organisée par L'Éducation nationale pour l’édification des foules...

    Naissance du photo journalismeLe livre de François Fontaine complètera donc utilement l'ouvrage précédent. Il a le mérite de bien circonscrire les images utilisées, d'en rapporter les intentions des auteurs, d'agrémenter d'études quantitatives et qualitatives (utiles mais laborieusement universitaires). La guerre d'Espagne voit la naissance du photo reportage, avec ce que cela implique en terme de logistique, de technique photographique de répercussion dans la presse et sur l'opinion publique. Une nouvelle ère commence : celle de l’image par son utilisation systématique, notamment comme moyen de mobilisation. C'est surtout autour du Parti communiste que ce potentiel est exploité (multiples reportages photos dans le mensuel Clarté). À ce titre, François Fontaine apporte d'utiles éléments pour la compréhension de la guerre d'Espagne, notamment sa réception en France (d'hier jusqu'à aujourd'hui). « Force est de constater que les reporters les plus impliqués et les plus talentueux sont ceux qui ont couverts les événements du côté républicain. » Et si aujourd'hui la guerre d'Espagne n'évoque plus qu'une chose, ce sera la célèbre photo du combattant républicain de Capa, comme preuve de ce que l'image peut perdurer et imposer d'elle-même des réflexes idéologiques : l'observateur penche toujours pour la victime.
     
     
    Jean Birnbaum

    + Michel Lefebvre et Rémi Skoutelsky : Les Brigades internationales. Images retrouvées, Seuil, 2003, 192 p., 45 g.
    + François Fontaine : Le guerre d'Espagne, un déluge de feu et d'images, BDIC/Berg International, 256 p., 22 g.
    1 : Exemples flagrants de manque de recul : page 166, l’auteur mentionne que les anciens d’Espagne « seront ensuite maltraités (…) ou broyés - paradoxe terrible, par le stalinisme pendant la guerre froide ». Paradoxe terrible ? Dans le monde enfantin des auteurs, il semble que les gentils ne puissent tués d’autres gentils. Sur le manque de perspective, un chapitre comparatif avec les engagés volontaires étrangers dans les troupes franquistes aurait été bienvenu, comme ces 600 Irlandais mentionnés page 128.
    2 : aucune trace de photos de prisonniers franquiste.
    3 : Aucune recherche ni mention particulière n’est faite sur les photographes envoyés comme espions par les soviets comme Arthur Koestler ou “Kim” Philby.