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  • N°13 - Une consultation peut en cacher une autre

    Par Jean-Baptiste Barthélémy

    Alain Duhamel est un peu le chef Chaudard – le personnage délicieusement ridicule joué par Pierre Mondy dans la trilogie de la 7e compagnie – du journalisme politique en France. Jugez plutôt.

    Le 26 mai dernier, dans l’une de ses tribunes publiées par Libération, le « chroniqueur numéro un de la vie politique française » écrivait à propos de l’élection européenne à venir : « Alors que, pendant des décennies, l’Europe a progressé en catimini, emmenée par une minorité agissante d’esprits décidés, la grande nouveauté, le progrès substantiel actuel est que l’on constate l’apparition, en France, d’une conscience européenne majoritaire chez les citoyens. Loin de se détourner de ce que l’on appelle prosaïquement la construction européenne, les Français adhèrent au contraire de plus en plus clairement et délibérément au projet européen »(1).

    À partir de quels éléments ce brillant expert se fondait-il pour tirer une conclusion aussi hardie ?

    Tout d’abord, sur un sondage « effectué par TNS Sofres », sondage commandé par la Fondation Robert Schuman (et opportunément publié quelques jours avant le scrutin européen. Il faut effectivement admettre que les résultats dudit sondage apparaissaient pour le moins « encourageants ». Assurément, il eût été dommage de s’en priver.) Si l’on en croyait l’interprétation des données effectuée par Alain Duhamel, les Français étaient « favorables à une Constitution européenne », ils souhaitaient « l’apparition d’une Europe de la défense et de la diplomatie », ils voulaient que « l’Europe soit plus active en matière de protection sociale, plus présente en matière de protection sociale (...) ». Et Duhamel d’ajouter que, l’Europe n’ayant pas pour le moment les moyens de ses ambitions, le cadre national demeurait encore, « à défaut, le lieu naturel de la politique opérationnelle (dans les domaines intergouvernementaux) », mais plus pour longtemps. Pour les Français (surtout les jeunes, bien informés), concluait Alain Duhamel, la nation restait « un cadre de solidarité instinctif », l’Europe devenait « leur projet d’avenir ». C’était beau comme une crèche !

    Ce sondage, nous précisait l’incorrigible Alain Duhamel, était du reste confirmé (ô surprise !) par l’examen des enquêtes d’opinion réalisées dans la perspective des élections européennes. « Cet éveil de la conscience européenne des citoyens français se retrouve d’ailleurs dans les intentions de vote aux élections européennes. Jusqu’à présent, les souverainistes font grise mine et ne parviennent pas à décoller. » Alain Duhamel trouvait donc la « démonstration » a contrario de sa thèse, et ne se sentait plus de joie : « la nécessité d’une ambition européenne s’est imposée à l’impasse des nationalismes et à la myopie des souverainismes ».

    Négliger les faits

    Quinze jours plus tard, nouvelle salve. Alain Duhamel remettait ça(2). Reprenant comme un fait acquis les “révélations” du sondage Sofres, il concentrait le tir sur les abominables souverainistes. Passant en revue l’état des diverses composantes de cette famille politique, Duhamel annonçait, ni plus ni moins, la fin du souverainisme. « Cette fois-ci, écrivait l’observateur avisé, tous les sondages, sans aucune exception, enregistrent un net recul global des souverainistes », lesquels « sont en train de perdre une grande bataille ». Et pourquoi les souverainistes devaient-ils échouer le 13 juin ? Tout simplement parce que « les peuples européens se mêlent enfin au débat ». Duhamel retombait sur ses pieds, c’est-à-dire sur ce fameux sondage commandité par la Fondation Robert Schuman indiquant une inexorable montée en puissance du sentiment d’appartenance à l’Europe des Pères fondateurs. La cause était entendue, les jeux définitivement faits.

    L’attitude de ce valet de la bien-pensance n’est qu’une illustration, parmi d’autres, de la morgue fédéraliste.

    Encore une fois, le mépris avec lequel on traite l’adversaire – le vote national est nécessairement un vote passéiste, la manifestation d’une totale incompré-hension du mouvement de l’Histoire, un repli frileux sur soi-même, un rejet irrationnel du progrès, etc. – n’a d’égal que la vacuité des arguments avancés pour persuader l’interlocuteur du bien fondé du projet fédéraliste. C’est là une constante du discours européiste.

    Une autre attitude récurrente est cette idée, toujours exprimée avec suffisance, selon laquelle les peuples feront (enfin) ce que l’on attend d’eux. Le citoyen est systématiquement convoqué pour ratifier des choix déjà opérés. Certes, Alain Duhamel innove quelque peu dans sa prose : au lieu de diaboliser l’électeur (« tous ceux qui n’adhèrent pas au projet européen sont des fachos »), il le flatte. Les Français sont des gens vraiment très bien puisque, en vérité, ce sont des fédéralistes qui s’ignorent : tel était, en substance, le message de Duhamel dans ces deux papiers.

    Enfin, autre invariant de la propagande fédéraliste, comme toujours les prédictions les plus sûres sont sévèrement contrariées par les faits.

    On aurait aimé voir notre Nostradamus au soir du 13 juin. Quelle tête faisait-il en constatant que seulement 47 % des électeurs européens avaient participé au scrutin, lui qui écrivait quatre jours plus tôt que les peuples prenaient part au débat européen ? Quelle fut sa réaction face à la colossale abstention des électeurs français, plus de 57 % des inscrits ne se sont même pas donnés la peine de se déplacer, ces mêmes électeurs qui, toujours selon Alain Duhamel, étaient censés adhérer de plus en plus « clairement et délibérément à un projet européen ? ».

    Alain Duhamel et, au-delà de lui, les apparatchiks du fédéralisme, ont à nouveau été sévèrement sanctionnés par les peuples : c’est incontestablement l’une des grandes leçons de ces élections européennes. L’abstention apparaît à l’évidence comme le révélateur d’une « fracture entre les peuples européens et leurs élites »(3). Certains observeront peut-être que, s’agissant du recul du souverainisme, Duhamel avait vu juste ? En fait, si le souverainisme officiel enregistre effectivement un résultat assez décevant – le souverainisme anti-système incarné par le Front national, lui, fait bien mieux qu’en 1999 – c’est d’abord l’effet conjugué des querelles internes à cette famille (la stupide discorde entre Philippe de Villiers et Charles Pasqua) et de la réforme du mode de scrutin précisément mis en œuvre pour évincer toute forme d’opposition au conglomérat UMP-PS, c’est-à-dire au fédéralisme(4). Rien à voir, donc, avec on ne sait quel « esprit européen » qui, subitement habiterait les Français.

    Au niveau européen, Dominique Reynié à son tour se rassure. Examinant dans le détail les scores obtenus par les formations eurosceptiques(5), le politologue en vogue dans les grandes rédactions parisiennes relève que « le vote eurocritique apparaît contenu, voire en régression (...) les partis de gouvernement, de droite ou de gauche, arrivent en tête dans la plupart des pays. Or, comme partis de gouvernement, ils entretiennent nécessairement un rapport plutôt favorable à l’Union européenne (...) ». Ouf, nous voilà sauvés ! Néanmoins, les comptes d’apothicaire de Dominique Reynié passent un peu rapidement par pertes et profits des éléments qui pourraient nuancer son jugement, voire l’invalider. On pense, notamment, au fait que l’opposition à l’intégration communautaire dépasse désormais de loin les partis protestataires. Ainsi, sous la pression des eurosceptiques, de nombreux partis de gouvernement ont été contraints de réduire la voile fédéraliste. L’UMP, qui reculera brutalement sur la question de l’intégration de la Turquie, ou le Parti socialiste, incapable de définir une position cohérente sur la Constitution européenne, en sont deux exemples criants. Plus généralement, la forte poussée du vote eurosceptique dans les nouveaux États membres en dit long, également, sur l’enthousiasme que suscite le modèle intégrationniste.

    Compromis national

    Que le souverainisme soft soit en crise, nul n’en disconviendra. Cependant, il est parfaitement abusif d’interpréter cette dépression comme le symptôme d’une adhésion massive à l’idéologie fédéraliste. L’abstention en progression partout interdit un tel amalgame. De notre point de vue, c’est même l’analyse inverse qui prévaut : l’abstention est sans doute devenue l’expression d’un euroscepticisme latent.

    En définitive, ces élections européennes se seront soldées par un match nul. Fédéralistes et souverainistes se séparent sur un score vierge qui, en lui-même, résonne comme une défaite pour les premiers. Qui plus est, ce résultat final ne reflète pas exactement la physionomie d’une confrontation dans laquelle les souverainistes se sont montrés bien plus offensifs que leurs adversaires, lesquels, comme toujours, ont multiplié les actes d’anti-jeux.

    Quoi qu’il en soit, on attend avec impatience la prochaine rencontre prévue fin 2005, année du référendum annoncé par un Jacques Chirac qui, pour une fois, a décidé de respecter la lettre et l’esprit de la Constitution en soumettant la loi autorisant la ratification du traité constitutionnel au vote des Français. Quand bien même cette option serait-elle moins dictée par des considérations juridiques que par des visées politiciennes (profiter du désordre du PS sur le sujet pour se refaire une santé électorale à peu de prix...), l’échéance sera déterminante.

    Si référendum il y a, c’est bien parce que, animés par le sentiment que l’essentiel est déjà acquis, les fédéralistes croient dur comme fer à la victoire écrasante du Oui ; cette conviction, n’en doutons pas, ne les empêchera toutefois pas d’avancer les arguments les plus scélérats qui soient (le Non conduirait à un séisme dont l’Europe ne se relèverait pas, la France s’exclurait elle-même du concert des nations, etc.) durant la campagne.

    Or, on le sait, l’adhésion des Français au projet d’une Europe supranationale n’est qu’une illusion d’optique. En vérité, la clef du référendum résidera donc dans la capacité des souverainistes, de tous les souverainistes sans exclusive, à s’entendre pour faire prévaloir l’intérêt national et l’indépendance de la France. Que la discorde l’emporte, et les fédéralistes auront gagné. Que le compromis nationaliste se réalise, que les abstentionnistes cette fois-ci se mobilisent, et la Constitution européenne aura vécu. La balle est dans le camp des nationaux.
     
     
    Jean-Baptiste Barthélémy
     

    1 : Alain Duhamel, “L’Europe clandestine des citoyens”, Libération du 26 mai 2004.

    2 : Alain Duhamel, “Souverainistes sur la voie du déclin”, Libération du 9 juin 2004.

    3 : Dominique Wolton, “L’Europe en rupture de communication avec les peuples”, Le Figaro du 4 août 2004.

    4 : Voir sur ce point notre article dans le précédent numéro des Épées.

    5 : Dominique Reynié, “Les souverainistes sans le peuple”, Libération du 25 juin 2004.

  • N°13 - Les chrétiens d'Irak (entretien)

    Entretien avec Jean-François Colosimo

    Jean-François Colosimo est écrivain, éditeur et rédacteur en chef des Cahiers de la Table Ronde, maître de conférences à l’Institut de théologie Saint-Serge à Paris.

    Les récents attentats contre les chrétiens en Irak étaient-ils prévisibles ?

    C’était écrit, à la fois en raison de la déréliction politique qu’ils endurent depuis treize siècles et de  la brutale accélération de leur déclin démographique et sociologique au XXe siècle. Sortis de l’histoire au VIIe siècle, avec l’apparition de l’islam conquérant, éradiqués de la géographie au XIIIe siècle avec les invasions mongoles, ils ont été effacés de la société par le statut de la « dhimmitude » (la citoyenneté restreinte que le Coran accorde aux Juifs et aux chrétiens) ainsi que l’organisation en « millet » (à base ethnico-religieuse) sous l’empire ottoman. Tout ce temps, leur action a tenu à la  préservation de leurs institutions, langues, cultes et lieux de culte. Jusqu’au panarabisme, qui fut initialement un projet chrétien de modernisation et laïcisation des sociétés proche-orientales sur fond d’arabité comme référent d’identité. Mais cette idéologie est morte avec le regain des nationalismes, l’emprise soviétique et le retour des tyrannies, dérive dont le parti Baas fut exemplaire. À la suite de l’effondrement des utopies, l’islamisme s’est imposé comme concurrent du panarabisme, dénoncé comme le cheval de Troie de l’Occident.

    Au sein de ces aventures révolutionnaires et socialistes, les chrétiens d’Irak, à l’instar de tous ceux d’Orient, ont pu maintenir leurs acquis, mais au prix d’une surenchère nationaliste. De plus, aussi positive qu’elle pouvait être en droit, leur situation se révélait fragile dans les faits. Aussi ont-ils connu un exode croissant tout au long du XXe siècle, phénomène au fond plus inquiétant que les persécutions, les déportations ou les massacres endurés au cours des siècles précédents. Ces communautés chrétiennes étaient urbanisées, éduquées, occidentalisées, et à ce titre présentes dans le commerce, la fonction publique intermédiaire et la diplomatie (Tarek Aziz en est un exemple). Elles servaient, à leur corps défendant, à illustrer la libéralité, la tolérance, et l’ouverture supposées d’un régime. Le pacte semi-laïc censé fonder l’Irak a néanmoins été rompu par Saddam Hussein après la première Guerre du Golfe, lorsqu’il a adopté la rhétorique islamique face à l’embargo.

    Depuis l’intervention américaine, inévitablement perçue comme une croisade, les discours théocratiques de Washington n’ayant pu qu’aggraver cette prévention, les chrétiens sont passés, dans l’imaginaire collectif, du statut de minorité suspecte, européanisée et laïcisante, à celui de cinquième colonne potentielle, naturellement encline à collaborer avec l’occupant. Les voilà donc doublement otages de Bush et de Ben Laden. Sur fond de chaos général, les attentats, prévisibles, surprennent plutôt par leur caractère tardif.

    Quelle est leur exacte situation aujourd’hui ?

    Ils représentent en gros un million de personnes sur vingt-quatre, soit 3 % de la population irakienne, mais se répartissent en plusieurs dénominations confessionnelles en mal d’unité. Le modèle communautariste oriental les fait vivre regroupés en quartiers dans les grands centres urbains ou au sein de villages relativement homogènes. Ce qui explique la facilité et l’amplitude des attentats. Leur conscience de la présente situation est vive. L’arrivée des troupes américaines a immédiatement provoqué chez eux doute, puis crainte, et enfin amertume. Ils ont en effet assez souffert, par le passé, des fausses promesses des puissances occidentales. Ils ont vite compris, surtout, qu’ils ne pouvaient qu’être tributaires du chaos que Washington provoquait. Ce à quoi il faut ajouter le rôle néfaste des évangélistes et baptistes fondamentalistes, embarqués dans les blindés des G.I’s, et qui prétendent “christianiser” les chrétiens d’Orient ! Pourtant, leur attachement au pays demeure profond. Ils savent quel rôle ils pourraient y jouer dans le cadre d’une société ouverte et pacifiée. Car leurs institutions, revues ou cercles d’études constituent de vrais lieux de débat vers lesquels se tournent les musulmans éclairés, pareillement objets de la terreur islamiste.

    Mais les chrétiens d’Irak fuient dans des conditions souvent catastrophiques dans des pays voisins comme la Turquie…

    C’est aussi bien un retour, les frontières nationales se révélant plutôt fictives et poreuses dans cette région. Les Assyriens et les Syriaques, ces descendants des Araméens, se retrouvent donc à reprendre la route vers le Sud-Est de la Turquie, qui fit partie de leur terreau ancestral, et où ils connurent des massacres de masse lors du génocide des Arméniens en 1915, avant d’entamer une longue errance dans l’hinterland montagneux que se partagent aussi la Syrie et l’Iran. Dans le Sud-Est de la Turquie, région des plus pauvres par ailleurs, ils se confronteront aux Kurdes qui furent le bras armé du génocide et qui continuent, contrairement aux Kurdes d’Irak plutôt bienveillants, à persécuter les derniers représentants, sur place, de ces communautés. Enfin, la reconstruction identitaire, sur le mode révolutionnaire des Lumières, de la Turquie kémaliste rend indésirables les chrétiens, non pas tant pour un motif religieux qu’en raison de leur hétérogénéité ethnico-culturelle. Il est par ailleurs douteux, en cas d’afflux important qu’Ankara accepte l’intervention humanitaire d’Organisations non gouvernementales. La Syrie, où la situation des Églises orientales est meilleure à cause de la politique des minorités poursuivie par le pouvoir alaouite, ne peut cette fois jouer son rôle traditionnel de refuge, puisque Washington a fait de la fermeture de ses frontières un test de neutralité. Le problème le plus crucial de ces déplacements de populations, et qui fait loi au Proche-Orient comme dans les Balkans depuis un siècle avec la décomposition sans fin de l’empire ottoman, est que les territoires perdus ou abandonnés ne sont jamais retrouvés.

    Que signifie cette situation pour les chrétiens d’Orient en général et au-delà ?

    La baisse constante, en nombre et en influence, des diverses Églises chrétiennes représente un vrai drame pour tout l’Orient. L’équilibre de cette partie du monde a toujours tenu à sa mosaïque de communautés constituant une leçon historique vivante empêchant, si ce n’était le jeu de la domination, à tout le moins une appropriation monolithique ou une réduction identitaire. L’islam s’y divisait pareillement en islams, fruits de cette flexibilité synthétique qui caractérise la culture musulmane traditionnelle. Mais ces islams eux-mêmes disparaissent sous les coups de boutoir de l’islamisme, d’inspiration wahabite, qui au nom d’une prétendue pureté originelle voit en eux des déviations hétérodoxes, et s’établit donc en rupture avec l’islam historique. On va donc vers une unification de la méditerranée orientale sous le signe de la régression et de la terreur. Mais, outre les populations concernées, la menace est aussi préoccupante pour Israël et les pays riverains concernés, dont la France qui reste la première puissance de la Méditerranée. La disparition des chrétiens d’Orient est donc une tragédie pour l’humanité. Il faut bien voir que ces Églises ont un rôle essentiel dans la garde et la transmission d’une part essentielle de la mémoire universelle, et en conséquence de notre mémoire. Là où la foi chrétienne est née, l’attestation du christianisme se résumera-t-elle demain à un musée ? Par ailleurs, le prix de l’exode est la sécularisation des sociétés d’accueil. Que ce soit en Europe ou en Amérique, il est difficile, voire impossible, pour ces chrétientés si nationales de maintenir leurs traditions hors contexte. Or leur sort ne représente pas une cause humanitaire d’intérêt aux yeux de l’Occident qui préfère nier sa dette, ne pas réviser son histoire religieuse et se concevoir source et fin du christianisme, dans sa version confessionnelle ou laïcisée.

    Des aides sont-elles possibles ?

    Difficilement. L’erreur magistrale est de penser que les chrétiens d’Orient sont des Occidentaux qui s’ignorent. L’Occident continue de jouer contre eux, comme il le fait depuis les Croisades, en les confinant dans une sorte de “harkisation” dont ils ont ensuite à payer la note. Et ce, alors que nous ferions mieux de nous ressourcer à leur expérience du martyre. Il s’agit bien de ne pas répéter la funeste erreur de l’engouement en faveur des Maronites du Liban qui ont entraîné tout le pays des Cèdres dans leur désastre. Il s’agit aussi de refuser toute confusion avec le christianisme fondamentaliste américain, ses pompes et ses œuvres chiffrées en milliards de dollards. On ne peut guère compter sur les institutions européennes. Ni, particulièrement dans le cas irakien, sur Rome en cette fin de pontificat. Le Vatican vient en effet d’obliger un synode récalcitrant à élire un candidat de transition, sénile et inadapté à la situation, sur le siège patriarcal de l’Église chaldéenne, issue du nestorianisme mais unie, et la plus importante numériquement. La seule vraie aide possible, de l’extérieur, est celle qui va de proche en proche. Depuis quinze ans, mes amis Domitille et Edouard Lagourgue, qui dirigent l’organisation humanitaire “Mission Enfance” aident ainsi, dans le Kurdistan irakien, à la reconstruction des villages chrétiens et à l’ouverture d’écoles d’inspiration chrétienne mais ouvertes à tous. Que les chrétiens continuent de vivre là où ils sont nés, témoignent de leur vocation de service, forment des élites aptes à féconder d’autres élites, tel doit être l’objectif.

    Mais la situation irakienne n’est pas isolée ?

    L’Irak est un exemple paroxystique de la crise sans précédent qui affecte les chrétiens d’Orient, mais la difficulté est globale. Voyez les chiffres qui doivent certes prendre en compte l’explosion démographique musulmane et l’exode, mais le recul en proportions est flagrant. Au Liban, ils représentaient 55 % de la population en 1930, pour 25 % aujourd’hui. En Palestine mandataire, 20 % en 1948, 1 à 2 % désormais dans les Territoires autonomes et 2 % en Israël. En Egypte, les Coptes, la plus forte communauté chrétienne du monde arabe, se maintiennent à environ 10 %, mais là aussi l’exode est sensible. C’est le précédent de la Turquie qu’il faut garder à l’esprit, où le christianisme a quasiment disparu du fait d’un nationalisme exacerbé qui se revendiquait de 1793. Les Arméniens furent exterminés et chassés en 1915 ; les Grecs, expulsés en 1923 : il y en avait un million et demi, héritiers de 2 500 ans de présence continue, et il n’en reste aujourd’hui que 5 000. Mais, comme toujours, l’Orient demeure compliqué. Le nouveau gouvernement « islamiste modéré » d’Ankara, en rupture avec le kémalisme, et aidé en cela par les injonctions de Bruxelles, pourrait bien procéder à une nette amélioration du statut des chrétiens en Turquie. Quant à leur situation au Liban, en Syrie, en Jordanie, elle demeure viable, voire bonne eu égard aux circonstances régionales. Encore une fois, notre devoir est de leur donner les moyens d’accomplir librement leur vocation au sein du monde qui est le leur.
    Un dernier mot pour conclure…

    À vue humaine, nous assistons, impuissants, à une catastrophe de civilisation qui incline au pessimisme le plus radical. Mais l’on ne saurait oublier que, dans le christianisme, la croix est signe d’espérance.

    Propos recueillis par D. Foubert et A. Clapas